mercredi 8 juillet 2009

La création du monde vue de Cap-aux-Oies

Vous connaissez comme moi toutes ces théories sur l'évolution n'est-ce pas? Les éléments inertes qui, après quelques millions d'années d'hésitations donnent naissance à des êtres vivants unicellulaires qui s'agglutinent dans les mers pour produire lentement des bêtes plus ou moins hideuses. Puis, celles-ci, avec le temps, se hissent péniblement sur la terre pour se transformer en une multitude d'autres bêtes dont l'une finit par se tenir constamment sur ses pattes de derrière pour devenir un "homo erectus" plus ou moins abruti qu'on a baptisé tour à tour de noms affectueux comme Pithécanthrope, Australopithèque, homme de Cro-Magnon, homme de Neandertal et je ne sais quoi encore. Mais tout ça, ne l'oublions pas, n'est qu'une théorie. Et une théorie bien embarrassante car elle nous oblige à croire que tous ses aboutissements, plantes, bêtes ou hommes, sont le fruit du hasard.

Par un beau jour de juillet, il y a bien longtemps, j’ai expliqué à mon grand-père ces théories sur l’évolution que je vous ai racontées il y a quelque temps dans le chapitre de mon blogue que j’appelle «Mes ancrages». Il m’a écouté sans mot dire.

Avant d’aller plus loin, laissez-moi vous dire que mon grand-père, vivait à Cap-aux-Oies, dans le comté de Charlevoix. Il fumait la pipe, portait des bretelles et se berçait sans un mot durant de longs après-midi sur la galerie d’en avant, face à la mer. Et un grand-père qui fume la pipe, porte des bretelles et se berce en silence ça réfléchit beaucoup, tout le monde sait ça. Un tel grand-père ça constitue ce que les adeptes de l'ésotérisme appellent un "milieu mental" très propice aux profondes réflexions, un «think tank» à lui tout seul si vous voulez.

Quand j’ai terminé mon histoire, mon grand-père a secoué sa pipe sur le bord du crachoir et s’est levé en disant «Bon, c’est l’heure du souper».

Durant la soirée, ma grand-mère s’est jointe à nous et nous sommes retournés nous asseoir sur la galerie. Tout en regardant le ciel se violacer et la mer se calmer doucement, nous avons parlé de la famille, des pêcheries, des moissons, puis nous avons rabâché tout un tas de souvenirs. Nous avons ri et parfois nous nous sommes attendris alors que ma grand-mère détournait les yeux pour cacher ses émotions. Vers les dix heures, ma grand-mère a dit «Viens-tu te coucher, Anselme ?» Je suis resté seul un long moment à regarder les étoiles piquer une à une la nuit noire et à me laisser envahir par un sentiment de paix que je n’avais pas connu depuis longtemps.

Le lendemain matin, mon grand-père et moi avons besogné autour de la maison : nourri les poules, ramassé les œufs, sarclé le jardin, cueilli un panier de fraises, coupé quelques feuilles de laitue, enlevé des gourmands sur les plants de tomates puis marché un peu sur le bord la mer en saluant les voisins. Après coup, nous sommes retournés nous asseoir sur la galerie d’en avant. Mon grand-père m’a dit d’aller prendre une bière au frigo pendant qu’il bourrait sa pipe.

Après quelques moments de silence, mon grand-père s’est lancé :

«Tu sais tes théories sur l’évolution, eh bien je ne pense pas que la création du monde s’est passée comme ça.

Après une pause, il a continué :

«Conte de fées pour conte de fées, je préfère encore les explications de notre bonne vieille "Histoire sainte" qui nous montre un Bon Dieu qui se retrousse les manches pour se lancer pendant six jours dans une corvée de tous les diables. À grands coups de pelle, de truelle et de pinceaux, il creuse des mers, construit des montagnes, dessine des arcs-en-ciel, façonne des étoiles et sculpte des arbres... Quand il s'y met, lui, plus moyen de l'arrêter.


Il faut vous dire que mon grand-père tenait lui-même ses connaissances en la matière de son propre grand-père qui, en son temps, avait lui-même été un grand-père à chaise berçante sur la galerie d'en avant à Cap-aux-Oies, dans le beau comté de Charlevoix. Et le père de mon grand-père...bon, vous me suivez, n'est-ce pas, on remonte comme ça très très loin dans le temps. Ils étaient grands-pères de père en fils dans la famille. Et cette transmission des connaissances de génération en génération ça s'appelle la tradition et, si vous prenez la peine d'adresser un petit message électronique au Vatican, on vous confirmera que la tradition constitue, après la Bible, la principale source d'information de l'Église.

«Mais, a continué mon grand-père, il lui fallait maintenant mettre de la vie là-dedans. Alors, il a semé du foin, du trèfle, des carottes, des fleurs et toutes sortes de plantes, même que, avec un brin de malice, il a semé de l’herbe à puces. Puis, il a planté des arbres : des érables, des ormes, des chênes et des arbres à fruits, même des pommiers, mais les pommiers il l’a regretté plus tard quand il a vu Ève tendre une pomme à Adam.

«Puis, il lui est alors venu à l’idée de planter dans le décor un petit bonhomme à sa ressemblance.

«Alors le bon Dieu a commencé par se faire la main en créant des animaux. Il est très habile de ses mains quand il veut le bon Dieu. Il travaille la boue comme les enfants le font avec la «plasticine» mais lui c'est un expert, un vrai magicien. Il ramasse une poignée de terre, crache dedans, la pelote bien comme il faut pour lui donner de la consistance, la dépose sur sa table de travail, la tapote un peu pour l'étendre puis là, rien qu'avec ses doigts magiques qui courent si rapidement qu'on a peine à les voir aller, il donne forme au petit tas de boue. Il se recule pour mieux regarder son oeuvre, fait une petite retouche ici et là, passe quelques coups de pinceau et là, c'est le grand moment: il se penche et souffle dessus, pas fort, juste comme ta grand-mère lorsqu'elle souffle la chandelle avant d'aller se coucher. Aussitôt la petite chose se met à frétiller. Il la prend par la queue, et plouc! Il la lâche dans l'eau: c'est une petite barbotte comme il y en a dans le ruisseau derrière la grange. Après ça, c'est un lièvre qui se dresse sur ses pattes de derrière, pointe les oreilles et s'agite le museau. Il lui fabrique une belle carotte orange en un tournemain puis clac! une petite tape sur les fesses et notre lièvre part en courant à travers champs. Pas longtemps après, c'est un beau renard roux qui prend vie, mais il a pris soin de créer quelques autres petites choses entre le lièvre et le renard pour donner au lièvre le temps de prendre une bonne avance. Puis là, quand il se sent une âme d'artiste, le bon Dieu se fabrique quelques papillons ou bien des hirondelles ou bien des chevreuils. Mais tout bon Dieu qu'il soit, il a parfois des épisodes de paranoïa: alors il fabrique des éléphants ou même des baleines bleues. Quand il est vraiment déprimé, il fabrique des crapauds, des araignées et des serpents.

«La Bible dit qu'il a fait tout ça en moins d’une semaine. Écoute bien, mon petit gars, le bon Dieu il est vite sur les patins mais faut quand même pas exagérer. Dans ce temps-là, les jours n’étaient pas courts comme ceux d'aujourd'hui. Le soleil avait à peine commencé à tourner autour de la terre. Il n’avait pas encore pris son élan. Ça fait que les journées pouvaient durer un an ou deux en jours d'aujourd'hui.

«Alors, il ne lui restait plus qu’à créer l’homme. Ça, c’était plus délicat. Comment faire ? Il a commencé…

Juste à ce moment-là, le récit a été interrompu par la voix de ma grand-mère: «Approchez les hommes, le diner est servi !»

Je vous conterai donc un autre jour la suite de la création du monde vue de Cap-aux-Oies.