dimanche 28 juin 2009

Mon écrivaine favorite

Armelle Barguillet est une écrivaine de grand talent et à l’écriture fluide que j’ai eu le bonheur de connaître alors que je travaillais sur mon manuscrit «Les nouveaux Gulliver». Elle a fait de ce manuscrit un éloge qui m’a coupé le souffle.
Son blogue, «La plume et l’image» (http://abarguillet.mon.allocine.fr/), est suivi par près d’un million de lecteurs et fourmille de chroniques portant sur le cinéma, la littérature, l’actualité et les réflexions qu’elle lui inspire. Elle écrit aussi des contes pour la jeunesse, des chansons, des récits de voyages et j’en passe et j’en passe. Elle est une passionnée de Marcel Proust. Elle donne des conférences sur ce grand auteur et a publié et gagné des prix sur le sujet. Elle est aussi poète et a notamment publié un magnifique de recueil de poésie intitulé «Profil de la nuit». Ses textes sont enrichis de nombreuses illustrations. Je vous laisse le plaisir de la découvrir. Vous en aurez pour des heures.
Au hasard de mes lectures du blogue d’Armelle Barguillet, j’ai glané ce texte sur le bonheur que je partage avec vous :
«D'essence rare, subtile, il n'est pas un état naturel. Personne ne peut nous rendre heureux si nous-même ne le souhaitons pas. Le bonheur est donc une affaire entre soi et soi. Il y a des gens doués pour le bonheur, d'autres qui ne le seront jamais. Mon bonheur, je puis l'acquérir avec presque rien et le détruire avec presque tout. Contrairement au plaisir, à la félicité, à l'extase, on l'associe à une idée de continuité. On peut envisager que les gens, qui ne sont pas malheureux, sont heureux. Mais il n'en est rien. Un peuple en paix devrait être un peuple heureux, l'est-il, le serait-il sans le savoir ? N'est-ce pas l'irruption du malheur qui nous donne à penser que dans l'état précédent nous étions heureux? Je ne savais pas que j'étais heureuse pourrait dire une personne qui vient d'être frappée par le malheur. Car le malheur a ceci de particulier : il frappe. Je crois qu'il n'y a pas de recette au bonheur. Chacun le secrète comme un miel de façon personnelle. Il n'est pas obligatoirement lié à un événement : retrouvailles, naissance, mariage, diplôme, récompense. Non, il nous touche au plus profond de nous-même sans que nous comprenions ni pourquoi, ni comment. On connait le plus souvent le bonheur, alors que rien nous y préparait : à la vue d'un beau paysage, à l'écoute d'une belle musique, à la rencontre d'une personne, dans la solitude de la nature. Parce qu'il correspond à un bien-être intérieur, à un accord profond avec ce qui nous entoure. Supérieur à la satisfaction, qui suppose une part d'égotisme et d'auto-suffisance, il est tout ensemble fragile, surprenant, désinvolte, touchant, nécessaire, humble et confidentiel.»

jeudi 18 juin 2009

Lettre à mon cousin

Mon cher Jacques,


C'est avec toi, t’en souviens-tu, que, deux fois par semaine, nous allions chercher le lait en haut de la montagne.


Je n'étais pas bien vieux, dix ans, pas plus. Toi, mon cher cousin, tu avais quinze ou seize ans, je crois bien.


Tu passais souvent tes étés avec nous à la campagne, dans ce chalet isolé que nous avions à Saint-Félix-de-Valois, sur le bord de la rivière L'Assomption. Un petit coin de rêve où nous n'avions pas l'électricité et où, le soir, ma mère allumait les lampes à l'huile et mettait le feu aux deux manteaux de la lampe Coleman.


Pour garder les aliments au frais, nous les mettions dans une grande boîte de fer-blanc solidement ancrée dans l'eau glacée du ruisseau qui passait derrière le chalet. C'est pour avoir toujours du lait frais que nous allions en chercher tous les deux ou trois jours. Le village était loin, en haut d'une grande côte en S, et, sur semaine, nous n'avions pas de voiture pour nous y rendre. Même que, une fois par semaine, le boucher descendait dans son petit camion réfrigéré par de gros blocs de glace et où ma mère choisissait quelques pièces de viande.


Le lait, il fallait aller le chercher en haut de la montagne. Toujours le soir, après le souper. Une fois mon frère Raymond, avec mon cousin Julien et, la fois suivante, toi qui étais le plus vieux des quatre garçons, avec moi qui étais le plus jeune.


Pour monter, nous faisions un détour pour aller prendre un sentier en pente douce. Là-haut, le fermier Buddy nous donnait du lait encore chaud qui, en coulant, faisait des bulles à la surface de nos bidons. Buddy était un gros rougeaud, sympathique et méticuleux, qui prenait toujours soin d'enlever, délicatement et du bout de ses gros doigts, la mouche en train de se noyer dans son sceau, avant de verser le lait dans nos bidons.

Pour redescendre, nous empruntions un sentier plus abrupt mais qui nous menait plus directement à la maison. Parfois, nous arrêtions en route pour regarder baisser le soleil sur les montagnes d'en face. C'était un beau moment.


Je me souviens combien tu raffolais de l'opéra et ne te lassais pas de faire tourner des disques de Caruso sur notre gramophone à manivelle. Ensuite tu chantais. Tu avais une voix de ténor léger, une voix agréable, un peu voilée. Je ne suis pas un amateur d'opéra mais si je connais aujourd'hui les paroles de nombreux airs, c'est de cette façon que je les ai apprises, un peu de travers parfois il faut bien dire.


Un soir, plus tard, beaucoup plus tard, je suis allé te rendre visite à l'hôpital. Tu avais été opéré pour une tumeur cancéreuse et tu semblais sur la voie de la guérison. Tu étais manifestement heureux de t'en être tiré et, dans l'enthousiasme, nous nous étions promis d'aller souper avec nos femmes dans un restaurant dont tu m'avais vanté les mérites.


Nous ne sommes jamais allés souper dans ce fameux restaurant car tu es mort quelques jours plus tard.


J'aimerais bien qu'une de ces fois tu viennes me dire si, là-haut, on entend chanter Caruso et si on peut voir les couchers de soleil sur les montagnes de Saint-Félix.


À un de ces quatre,

Ton cousin Jean