vendredi 24 juin 2011

L’Univers par le trou de la serrure

Touristes de l’Univers – Chapitre 10

Sur la route de Port-au-Persil

Le lendemain soir, le ciel était aussi dégagé que la veille et, lorsque le soleil a glissé sous la ligne d’horizon, nous sommes à nouveau retournés sur le quai de Port-au-Persil pour nous installer dans nos transats en contemplation du ciel.
Nous avons devisé tranquillement en nous laissant encore une fois envahir par la beauté des lieux. Lorsque la noirceur fut vraiment venue, Simon me rappela que, la veille, il m’avait dit qu’ainsi installés, nous pouvions contempler l’immensité de l’Univers et que je lui avais répliqué qu’il se trompait en faisant une telle affirmation.
- Bien oui, tu t’illusionnes, lui répétai-je, si tu crois que, en regardant le ciel comme nous faisons maintenant, nous contemplons l’immensité de l’Univers.
- Veux-tu dire que c’est encore ici une supercherie de l’Univers ? Que cette immense voûte céleste ne représente pas tout l’Univers ?
- Oui, c’est bien ça. Tout ce que nous voyons ici n’est qu’une infime petite portion de l’Univers.
- Tu nous as pourtant bien dit que certaines des étoiles qui s’offrent à nos yeux sont à des milliers d’années-lumière de nous et donc, que le ciel que nous voyons dans le moment est d’une incroyable immensité.
- Oui mais ce qu’il faut d’abord saisir c’est l’immensité de l’Univers lui-même.
- Bon, vas-y, charrie-nous encore une fois.
- Tu te souviens que nous, sur notre petite planète, faisons partie d’un troupeau d’étoiles qu’on appelle la Voie lactée et que ce troupeau est si immense que si nous pouvions nous élancer à la vitesse de la lumière qui court à 300 000 km à la seconde, il nous faudrait environ 90 000 ans pour le parcourir de bout en bout et que, en cours de route, nous croiserions des milliards d’étoiles.
- Oui, je sais ça.
- Tu te rappelles aussi que notre ami Hubble nous a révélé que l’Univers était parsemé de milliards d’autres galaxies et que toutes les galaxies étaient lancées dans une course folle.
- Oui, je te vois venir, je crois.
- Alors tu dois bien commencer à comprendre que nous sommes postés dans un petit coin de notre galaxie et que nous ne voyons que quelques-unes des étoiles qui en font partie. Nous sommes bien loin de voir les milliards d’étoiles qu’elle cache dans sa poche. Et encore bien plus loin de voir les milliards d’étoiles des milliards d’autres galaxies qui parsèment l’Univers.
- C’est époustouflant ce que tu nous racontes là.
- Si l’on comparait le ciel à un immense château, je te dirais que nous sommes comme des voyeurs qui regardent par le trou de la serrure pour voir à l’intérieur. Nous ne verrions alors qu’une toute partie du vestibule. Tout le reste échapperait à notre regard : les immenses salles de bal, les innombrables salons, chambres, interminables couloirs, tours de guet, caves, sans compter les riches ornements, sculptures, tableaux et tapisseries, etc., etc.
- Et un château gonflable, intervint Minouchka en rigolant, car tu nous as dit que l’espace ne cessait pas de s’agrandir à une vitesse folle en entraînant les galaxies dans sa course.
- Oui, bien dit, un château gonflable. Et nous des petites puces agrippées à ce château et essayant en vain d’en voir l’immensité.
Nous fîmes alors une longue pause, comme nous l’avions fait la veille, pour tenter d’imaginer l’inimaginable : l’immensité de l’Univers avec notre poche d’étoiles surnommée la Voie lactée, et, bien au-delà, les milliards d’autres poches d’étoiles entraînées à des vitesses folles par l’espace qui s’ouvre devant elles.
Devinant la pensée commune qui nous habitait, je rompis le silence :
- Il est aussi impossible d’imaginer cet espace infini que d’imaginer l’éternité.[1] Suivant ce que pensent généralement les hommes de science, l’espace continuera de s’agrandir indéfiniment et, de ce fait, à se refroidir jusqu’à atteindre le «Big chill»[2], c'est-à-dire le grand refroidissement qui finira par amener étoiles et galaxies à s’éteindre et à disparaître dans la nuit des temps. Mais consolons-nous, cette échéance n’arrivera pas avant des centaines de milliards d’années et le soleil et ses planètes seront morts et enterrés depuis longtemps.
- Toute une consolation ! lança Minouchka.
Nous prîmes alors un dernier verre et nous montâmes vers notre gite «La petite Madeleine» en titubant un peu et en braillant à tue-tête «Partons la mer est bê-ê- le». Ce soir-là, Jeannette s’endormit la tête pleine d’étoiles, comme elle me le raconta plus tard.
[1] Comme le dit si bien Woody Allen : «L’éternité c’est long…surtout vers la fin».
[2] Par opposition à la théorie du «Big Crunch» qui amènerait l’espace à cesser de s’agrandir et, à l’inverse, à entreprendre de se contracter pour revenir un jour au point zéro, c'est-à-dire à l’état infiniment petit qui a précédé le Big Bang. Dans cette hypothèse, l’Univers serait élastique, alternant entre des états de «Big Chill» et de «Big Crunch».

jeudi 9 juin 2011

Les autres duperies de l'univers

Touristes de l’Univers – Chapitre 9





L'univers en expansion





Eh bien, vous vous souvenez que, la dernière fois, il a fallu nous rendre à l’évidence : la merveilleuse nuit étoilée que nous admirions du quai de Port-au-Persil, n’était en fait qu’une image faussée par le décalage spatial des étoiles qui ne sont pas du tout sur le même plan.


Après notre discussion, chacun de nous s’enferma dans son silence et dans ses rêves.

Après un long moment, c’est Simon qui, maintenant bien réveillé, lança :


«Il y a au moins une chose certaine, c’est que, ici sur ce quai, nous pouvons contempler l’immensité de l’univers et que les étoiles sont bien accrochées là-haut et ne bougent pas d’un poil.


- Non, mon cher Simon, tu te goures, lui dis-je.
- Bien ça va faire ! On dirait que tu prends plaisir à nous contredire, Minouchka et moi, et à dire que tout n’est qu’illusion.
- J’admets que mes propos peuvent vous secouer un peu mais tout ce que je tente c’est de vous décrire la réalité qui se cache sous l’apparence des choses. Cette réalité est encore plus merveilleuse que ses apparences.
- Alors vas-y de ta soi-disant réalité, me répliqua-t-il, l’air exaspéré.
- D’abord un mot sur l’immobilité des étoiles et des galaxies :


De fait, si on examine les étoiles, sans prendre la peine d’analyser la lumière qu’elles émettent, elles nous paraissent toujours au même endroit les unes par rapport aux autres, nuit après nuit, année après année, siècle après siècle, figées à jamais sur la voûte céleste. Ce n'est que depuis moins de cent ans, avec des scientifiques, comme Georges Lemaître et Edwin Hubble, qu'on a finalement admis que les astres n'étaient pas immobiles et figés (comme on le croyait depuis Aristote) mais bien en mouvement et que les galaxies étaient même lancées dans une fuite éperdue (ce qu'Einstein lui-même eut bien de la difficulté à admettre). C’est particulièrement Hubble qui, en 1929, a proclamé que ces poches d’étoiles que sont les galaxies étaient lancées dans une course folle pour se fuir les unes les autres. Je vous ai d’ailleurs raconté cela lorsqu’on a parlé du Big Bang.
- Mais comment ton bonhomme Hubble a-t-il pu affirmer une telle chose ?
- Nous ne nous attarderons pas sur ce point mais, pour faire court, disons que c’est en utilisant ce qu’on appelle l’effet Doppler : on analyse le spectre des rayons lumineux émis par un astre et si le rayon tire sur le rouge c’est que l’astre s’éloigne et s’il tire sur le bleu c’est que l’astre se rapproche. Ainsi, notre ami Hubble a pu établir que les galaxies s’enfuyaient car leur spectre tirait sur le rouge Et, fait encore plus étonnant, ce ne sont pas les galaxies qui s’enfuient comme des voleuses avec les poches pleines d’étoiles, c’est l’espace lui-même qui se dilate, entraînant les galaxies avec lui !
- Mais tu charries pas un peu là ? Es-tu en train de nous faire avaler que l’espace est élastique comme une «gomme balloune» ? (1)
- C’est bien ça. Tiens, encore mieux que l’exemple de la «gomme balloune» : tu prépares une pâte à gâteau sur laquelle tu piques des raisins. Tu mets la pâte au four et tu la vois enfler graduellement sous l’effet de la chaleur. Là, ô miracle, les raisins se fuient les uns les autres. En fait, ce ne sont pas les raisins eux-mêmes qui entrent en mouvement, c’est la pâte qui les entraîne dans son mouvement d’expansion. (2)


L’espace donc n’est plus, comme dans l’univers de Newton, une scène de théâtre statique où se déroule le grand drame cosmique. Il n’existait pas avant le Big Bang et il se crée au fur et à mesure depuis la grande explosion. Et l’expansion de l’univers n’est pas un mouvement d’éloignement des galaxies dans un espace immobile mais un espace en dilatation qui entraîne avec lui des galaxies au repos.


- Eh bien là, je dois reconnaître que tu m’en bouches un coin.
- Il faut admettre que l’illusion d’immobilité des étoiles et des galaxies est bien compréhensible. Si un avion vole à 10 000 mètres à une vitesse de 800km/h, il te paraîtra, vu de la terre, avancer à une vitesse d’ escargot. Alors imagine une étoile située à 10 000 années-lumière, elle te paraîtra parfaitement immobile même si elle se déplace à une vitesse folle. Tu vois ?

L’astucieuse Minouchka qui avait écouté sans broncher, risqua alors cette question :


- Je me suis laissée dire que la galaxie Andromède, qui est la plus proche de notre Voie lactée, bien loin de s’éloigner de nous, s’en rapproche. Elle ne nous fuit donc pas, contrairement à ce que tu nous laisses entendre.
- Oui, c’est en effet assez paradoxal que deux galaxies qui s’enfuient se rapprochent en même temps. Depuis le Big Bang, l’espace n’a cessé de s’agrandir à une vitesse folle, entraînant dans sa fuite les galaxies (qui se sont graduellement formées par l’agglomération de la matière, comme on l’a déjà vu). Cette fuite n’empêche toutefois pas la loi de la gravitation de jouer son rôle et d’amener certaines galaxies rapprochées à se coller les unes sur les autres, tout en poursuivant leur course effrénée. Hubert Reeves exprime ainsi ce phénomène : «...des galaxies voisines, attirées par la gravité qui s’exerce entre elles, arrivent à remonter le mouvement d’expansion de l’univers et à fusionner ». C’est la géniale astronome américaine Vera Rubin qui nous illustre le mieux ce phénomène : si l’on place des fourmis sur un ballon et que l’on gonfle le ballon, les fourmis poursuivront leur course à mesure que le ballon se gonflera mais rien n’empêchera certaines d'entre elles de se rapprocher les unes des autres par leur propre mouvement, en même temps que le ballon les fera continuer leur course.


Ce rapprochement Voie lactée-Andromède n’a pas de quoi nous énerver pour le moment car, s’il y a un jour collision, ce ne sera que dans quelques milliards d’années. Et encore là, la collision est incertaine. Tu peux donc, ma chère Minouchka, écrire à ta grand-mère (a-t-elle Internet ? les grands-mères aujourd’hui, tu sais…) pour la rassurer sur le sort de ses arrières, arrières petits-enfants.


Je me suis alors tourné vers Simon :


- Tu as bien dit aussi que, d’ici sur ce quai, nous pouvions vraiment contempler l’immensité de l’univers, n’est-ce-pas ?
- Ne viens pas me dire que ce n’est pas le cas.
- J’ai bien peur de te décevoir là aussi. Mais je m’en voudrais de troubler ton sommeil. Alors, si tu veux bien, remettons à une prochaine fois la discussion qui nous amènera à tenter de comprendre l’immensité de l’univers. Ce sera là, je t’assure, un sujet absolument passionnant.



(1) Tous les enfants au Québec savent ce qu’est une «gomme balloune». Pour les non-instruits, laissez-moi expliquer la chose : tu te fourres dans la bouche une grosse gomme, tu la mâchouilles vigoureusement pour l’assouplir. Puis là, tu l’aplatis derrière tes dents de façon à l’amincir. C’est alors que tu pousses un peu avec la langue la mince pellicule de façon à la faire ressortir entre les lèvres. Puis, tu rentres la langue laissant une petite bulle à l’extérieur de la bouche, pas trop épaisse ni trop mince. Et c’est là que l’artiste démontre tout son savoir-faire : tu souffles dans la bulle pour la faire enfler. Le gagnant est celui qui fabrique la plus grosse bulle. Petite mise en garde : ne souffle pas trop fort car elle pourrait te péter dans la figure et tu en aurais partout, du menton jusqu’aux narines.


(2) Einstein nous a même révélé que l’espace n’était pas seulement en expansion mais qu’il était aussi élastique et se déformait en présence des étoiles, comme une trampoline sur laquelle on déposerait un poids. De cette façon, Einstein fournissait une explication à la loi de la gravitation énoncée par Newton : chaque étoile crée, dans la toile de l’espace, un creux qui attire ses voisines.