mercredi 22 décembre 2010

Conte de Noël

Un conte de Noël d’antan

J’étais encore jeune homme à cette époque. Disons il y a deux ou trois siècles.

Je passais un sale moment. Ma vie tournait au vinaigre depuis quelque temps. J’avais échoué aux examens du bac, ma petite amie de cœur m’avait quitté pour ce grand insignifiant de Léo, mon employeur avait fermé boutique et m’avait laissé sans le sou, mon père ne cessait de me dire que je m’en allais droit dans le mur et je ne vous parle pas de mon vieux tacot dont les pneus étaient crevés. Pour tout dire, j’étais patraque.

Malgré tout, je n’étais pas du genre à verser dans la dépression et j’étais convaincu que si je pouvais entrevoir une éclaircie dans mon avenir, ne fût-ce qu’un mince rayon, je retrouverais l’élan pour me relancer. J’étais du genre à rebondir à la moindre occasion.

Pas question pour moi de consulter un psychologue et encore moins un psychiatre, de me bourrer de «pep pills» ou autres cochonneries du genre, de me lancer dans l’alcool ou dans les sports extrêmes et encore moins de me suicider. Mais je ne savais pas de quel côté me tourner.

C’est mon ami Louis qui m’a mis sur la piste.

-Mais, mon pauvre vieux, j’ai en plein ce qu’il te faut, m’a-t-il lancé.

-Toi, puis tes suggestions à la con, tu sais où tu peux te les mettre.

Ne vous indignez pas. Louis est mon ami, je vous l’ai dit. C’est ainsi que se parlent les vrais amis, pas vrai ?

Sans même se soucier de ma réplique, Louis m’a tendu une carte d’affaires. «Vas-y, t’as rien à perdre, comme c’est là, t’as l’air d’une vraie cloche !»

Vous voyez bien que Louis est mon ami.

«Madame Jojo» disait la carte d’affaires. «Votre avenir est inscrit là, en toutes lettres dans les lignes de votre main.»

Bien évidemment, j’ai traité l’offre de Louis avec mépris et, sous ses yeux, j’ai jeté la carte à la poubelle. Louis s’est contenté d’un branlement de tête qui voulait tout dire.

Mais, Louis avait à peine fermé la porte que j’ai plongé la main dans le panier à déchet pour récupérer la carte de Madame Jojo.

Et c’est ainsi que, la veille de Noël, je me suis retrouvé dans le cabinet de consultation de madame Jojo. Elle m’avait prévenu que c’était par exception qu’elle me recevait en personne car habituellement ce n’est que par téléphone qu’elle travaillait. Je pense que Louis lui avait touché un mot et lui avait dit, à elle qui était justement en manque, que j’étais une affaire. Si invraisemblable que la chose puisse vous paraître, j’étais beau gosse à cette époque vous savez.

Elle me prit la main et me caressa la paume en silence comme si elle voulait en déchiffrer les lignes.

Cette séance de touche-touche n’était pas désagréable, je vous l’assure, surtout qu’elle était debout devant moi, de l’autre côté de son étroite table de travail, buste penchée sur ma main, me donnant ainsi une vue imprenable sur son décolleté. Sans compter la chevelure noire ramassée en toque, les longs cils, la bouche sévère, la taille svelte découpée dans une robe noire, bref l’image dominatrice de l’ensemble donnait à cette femme des allures de sadomasochiste. En plein mon type quoi ! (À l’époque, entendons-nous).

Je dus donc faire un immense effort pour chasser ces pensées impudiques, bien loin du but de ma consultation. Mais, malgré tous mes efforts, il a bien fallu que je me rende à l’évidence : un canon, cette femme, un vrai canon, je vous dis.

Après quelques minutes de caresses de ma main en silence, elle a levé vers moi un regard envoûtant et sans équivoque et m’a déclaré d’une voix suave et persuasive:

«Vos soucis sont dès maintenant chose du passé. Vous retrouverez à l’instant votre enthousiasme qui se manifestera par un grand débordement de passion».

J’ai failli sauter par-dessus le bureau. Ce ne fut pas nécessaire, le divan était juste à côté.

Depuis ce moment, les prédictions de Jojo se réalisèrent. Je devins plein de débordements de joie, d’enthousiasme, bref de débordements dans tous les sens du terme. Je ne jurais plus que par les lignes de la main. Elle m’en faisait la lecture quotidiennement et, chaque fois, je débordais.

Le père Noël n’arrive pas toujours par la cheminée, vous savez.

Quelques années plus tard, j’ai rencontré Jeannette. Les fées des étoiles non plus n’arrivent pas par les cheminées.

Si votre vie connaît un petit creux, trouvez-vous une bonne lectrice de la main. Jojo est peut-être encore disponible. Jeannette ? Non, pas question. Chasse gardée.

jeudi 4 novembre 2010

Capsule de physique No 3

Retour sur le cœur de la matière

Si l’on se réfère aux capsules Nos 1 & 2 des 9 et 22 août dernier, nous savons donc maintenant que l’atome, si petit soit-il, n’est pas le plus petit corpuscule connu. Il comprend un noyau entouré d’électrons extrêmement petits qui pirouettent autour du noyau et sont insécables (qu’on ne peut couper).

De son côté, le noyau est composé de protons et de neutrons qui sont eux-mêmes des agglomérats de quarks. On représente souvent l’atome comme ceci, bien qu’il s’agisse d’une image fictive car on n’a jamais vu l’atome :

Dans cette illustration de l’atome, les billes rouges et bleues représentent le noyau, composé de protons (billes rouges) et de neutrons (billes bleues). Les électrons sont les boules noires.

Toute la matière connue est faite d’atomes : votre table d’ordinateur, la petite fleur que vous y avez mise, votre chat qui vient se frôler sur votre jambe, le soleil dont les rayons entrent par votre fenêtre, les étoiles qui enchantent vos nuits, vous, moi, tout est atomes.

Mais ce qui est étonnant, c’est que les atomes sont surtout faits de vide. Si, comme le disait récemment un de mes amis physiciens, on se représentait le noyau de l’atome comme la pointe d’une aiguille, la taille de l’atome correspondrait au volume de la pièce dans laquelle vous êtes assis à votre ordinateur. Donc un noyau de la taille d’une pointe d’aiguille (qui, incidemment, contient 99,98% de la masse de l’atome) perdue dans l’immensité d’une pièce et tout le reste est un vide sillonné par de minuscules électrons (qui ne représentent que 0,02% de la masse de l’atome, aussi bien dire presque rien). Bizarre n’est-ce pas, de penser que nous sommes faits essentiellement de vide ! (Je vous entends marmonner que, dans mon cas, ça ne vous étonne pas).

Plus étonnant encore est le fait que les lois physiques habituelles, celles qui ont été énoncées particulièrement par le grand Isaac Newton et qui régissent notre comportement quotidien (comme, par exemple, la loi de la gravitation universelle qui vous garde les pieds collés au sol et permet d'interpréter aussi bien la chute des corps que le mouvement de la Lune autour de la Terre), deviennent négligeables sinon inapplicables dans le monde de l'extrêmement petit. Dans ce monde, ce sont d’autres lois qui prennent le devant de la scène : les lois de ce qu’on appelle la mécanique quantique. Cette mécanique décrit le comportement des atomes et des particules qui les composent.

Avec la théorie de la relativité d’Einstein, la mécanique quantique aura été la théorie scientifique la plus révolutionnaire du XXe siècle. Elle nous permet d'accéder au monde de l'extrêmement petit peuplé d'atomes, de photons, de neutrinos, de quarks et autres particules aux noms exotiques. C'est un monde bizarre et déroutant qui semble défier la logique et le bon sens. Pourtant, la théorie quantique a fait ses preuves, puisqu'elle est à l'origine des progrès technologiques fantastiques de notre époque : l'électronique, ses transistors, ses semi-conducteurs, le laser, etc.

Jusque vers les années 1920, on croyait bien connaître la nature de la matière et être en mesure de percer graduellement tous les secrets de l’univers. On prenait pour acquis que si l’on connaissait tous les ingrédients d’un problème, on pouvait le résoudre. Le monde était désormais sans mystères et, peu à peu, on arriverait à tout expliquer.

Le hasard n’avait aucune place dans cet univers déterministe où la raison régnait en maîtresse. Mais voilà que la mécanique quantique vient jeter une pierre dans cet étang de certitude : au niveau de l'extrêmement petit, le monde n'est plus ordonné, déterministe, comme dans notre quotidien. Il devient incertain et soumis au hasard. Le monde scientifique perd pied.

Cette mécanique nous ouvre les yeux sur de bien étranges mystères, particulièrement sur le fait que l’on ne peut plus prédire avec exactitude le comportement des particules mais qu’il faut se contenter de probabilités.

Je m’explique : si je m’installe sur le bord du trottoir et que je regarde une automobile passer devant moi, je peux évidemment situer exactement où se trouve cette automobile et, si j’ai en mains un radar, je peux, simultanément, connaître exactement sa vitesse. Eh bien, dans le monde quantique, rien ne va plus : si j’arrive à localiser un électron, je ne suis plus capable d’établir simultanément sa vitesse de déplacement.

Inversement, si j’établis cette vitesse, je ne sais plus avec exactitude où se trouve ce cachottier d’électron. Je dois me contenter de le situer approximativement. C’est ce que Heisenberg a appelé «le principe d’incertitude». Un sacrilège qui a ébranlé les fondements de la physique classique où l’on ne jurait que sur l’autel de la certitude.

Vous n’y comprenez rien à cette mécanique quantique? Eh bien, vous êtes sur la bonne voie : il n’y a rien à comprendre. « Je pense que je peux dire sans grande crainte de me tromper que personne ne comprend la mécanique quantique », disait le grand physicien Richard Feynman.

Mais il y a encore plus étrange dans ce monde de l'extrêmement petit : des particules qui naissent de rien et disparaissent en un éclair, comme le dit Pierre Yves Morvan :

«…pendant des temps très courts, le principe de conservation de l’énergie peut être violé. Ce principe dit en effet qu’on a rien pour rien, que tout se paie, ou encore qu’on ne peut avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre. C’est déjà ce que disaient à leur manière Empédocle et Lavoisier : «Rien ne se perd, rien ne se crée».

Pourtant, les relations d’Heisenberg permettent que des couples particule/antiparticule apparaissent de rien et existent pendant un certain temps.

C’est dire que des particules naissent d’un coup de baguette quantique et entrent, sans aucune invitation dans le grand bal de l’être.»

Puis, on est incapable de calculer à quel moment un neutron disparaîtra : sa disparition est laissée au pur hasard. Lavoisier se retourne dans sa tombe.

Einstein a combattu toute sa vie la physique quantique, vainement. Il n’arrivait pas à admettre que, au niveau de l’infiniment petit, le comportement des particules soit laissé au hasard. D’où, sa célèbre phrase : «Dieu ne joue pas aux dés». Ce à quoi, son adversaire et pourtant ami, Niels Bohr, lui répondait : «Qui êtes-vous, Einstein, pour dire à Dieu ce qu’il doit faire?»

D’autre part, on ne sait plus ce qu’est véritablement la matière. Si, par exemple, on examine la trace qu’un électron laisse sur une plaque métallique, on décèle une particule. Si on lui tourne le dos, il se comporte comme une onde. Certains avancent même une «théorie des cordes» où l’atome ne serait pas un corpuscule mais serait fait de vibrations ??? Qui donc est-il véritablement ? J’aime bien à cet égard rappeler les mots de l’astrophysicien James Dean qui disait que l’univers ressemble parfois plus à une grande pensée qu’à une grande machine.

On peut donc dire que, au niveau de l’extrêmement petit, la réalité nous échappe. Le monde des déterministes, qui s’acheminait vers un monde sans mystère, devient soudain un monde opaque où règnent des fantômes.

Bou !

dimanche 19 septembre 2010

Mathématiques dans la savane*

Il le sentit avant même de le voir. C'est quand même extraordinaire, avouez-le, arriver à distinguer la senteur de l'ennemi parmi tous les riches effluves de la savane.

L'autre s'était prudemment avancé contre le vent, pour éviter d'être repéré. Mais la brise avait soudain tourné. Oh, juste quelques secondes, mais ça avait été suffisant pour révéler sa présence.

Le coeur de notre héros fit un bond mais il n'en montra rien. Il savait d'où venait la senteur: quelque part derrière ce petit fourré, à cinquante mètres de lui. Il savait aussi que, dans un sprint, l'autre pouvait atteindre une vitesse de pointe de cinquante km/h alors que lui-même ne pourrait pas dépasser trente km/h. Alors, dites-moi, qu'est-ce qu'on peut faire, seul et sans armes, contre un tigre de cent vingt-cinq kilos?

La végétation tout autour était assez haute et il se dit que le fauve se rapprocherait le plus possible de lui avant de déclencher son attaque. Alors, pas de panique, se dit-il. Mine de rien, il continua sa cueillette de baies sauvages en jetant tout autour des coups d'oeil furtifs.

C'est alors qu'il vit l'arbre, seul là-bas au milieu de la savane, petit mais bien branchu. Juste assez gros pour le porter lui, mais juste assez petit pour ne pas supporter les cent vingt-cinq kilos de la bête derrière lui. Bienheureux refuge que Dieu dans sa grande sagesse avait planté là, spécialement pour lui, il l'aurait juré. Jamais arbre ne lui avait paru si beau.

À la réflexion, il se dit toutefois que Dieu, même s'il chérissait ses créatures, aimait bien aussi les éprouver. À moins que ce ne soit parce qu'il avait un brin de malice car, autrement, pourquoi aurait-il placé ce magnifique arbre à un bon cent mètres? On a bien raison de dire que les desseins de la Providence sont insondables, ne trouvez-vous pas?

«Allons, allons, ne paniquons pas, se dit de nouveau notre héros. Il faut à tout prix éviter de donner à l'autre un prétexte pour qu'il déclenche son attaque maintenant.» Jugez vous-même: à trente km/h (ou 8,33 mètres/seconde), notre héros prendra 12 secondes à franchir les cent mètres qui le séparent de son arbre refuge. De son côté, l'assaillant, à cinquante km/h (ou 13,9 mètres/seconde), ne prendra que 10,8 secondes pour franchir les 150 mètres qui le séparent de l'arbre. Il pourra donc tomber sur le dos de sa proie avant qu'elle n'atteigne l'arbre.

Alors, il continua innocemment son manège pour se rapprocher subrepticement de l'arbre sauveur. Le plus difficile, c'était de contrôler les ressorts tendus à péter qu'il avait dans les jarrets et qui lui commandaient de se lancer dans une course folle.

Le coup d'oeil suivant lui révéla que la bête s'approchait beaucoup plus rapidement de lui que lui ne s'approchait de l'arbre.

À ce stade-ci de mon récit, j'ai eu bien envie de vous laisser vous-même faire les calculs pour conseiller notre héros sur les distances qu'il devrait y avoir entre, d'une part, l'arbre et lui-même et, d'autre part, entre lui-même et le
tigre pour assurer sa sécurité. Mais, vous comprendrez que notre homme n'a vraiment pas le temps d'attendre les résultats de vos calculs sans même savoir si vous êtes fort en chiffres. Alors je vous livre tout de go son raisonnement.

«Si j'arrive, se dit-il, à me rapprocher à vingt-cinq mètres de cet arbre avant que cette bête féroce ne s'en approche à plus de cinquante mètres, je suis sauvé.» Jugez par vous-même encore une fois: une petite règle de trois vous fera voir que le fauve prendrait 3,6 secondes à atteindre l'arbre alors que son repas aurait déjà sauté dans l'arbre en 3 secondes.

Dès lors, il déploya toute son astuce pour se rapprocher plus rapidement de l'arbre béni sans éveiller les soupçons de l'autre. Il fit semblant de courir après un papillon, lança quelques cris de joie pour montrer à l'autre sa parfaite insouciance et exécuta même quelques roulés-boulés. Ce manège le rapprocha finalement à pas plus de trente mètres de l'arbre. Un innocent coup d'oeil à l'arrière lui fit voir que l'autre avait profité de ses cabrioles pour se rapprocher. Il n'était plus qu'à vingt mètres derrière et donc à cinquante mètres de l'arbre.

Vous, qui avez sans doute encore votre calculatrice palpitante à la main, avez sûrement déjà calculé que, à ce moment-ci, agresseur et proie peuvent tous deux atteindre l'arbre en 3,6 secondes.

Est-ce parce qu'il a subitement compris la manoeuvre de sa proie ou est-ce parce qu'il a pu jeter un coup d'oeil sur le résultat de vos calculs ou bien est-ce tout simplement par pur instinct, toujours est-il que c'est à ce moment-là que le fauve s'est brusquement relevé en rugissant pour se lancer dans une course à fond de train dont l'objectif ne laissait aucun doute.

Notre héros, les yeux agrandis par la terreur, lance sa poignée de baies en l'air et détale. Que dis-je "détale"? Il vole, il plane, l'autre à quinze mètres derrière, puis à dix mètres, puis à cinq mètres, puis à deux mètres, puis… on ne vantera jamais assez, à mon avis, les bienfaits de l'adrénaline. Est-ce parce que les cheveux qui se dressent sur la tête ont pour effet de soulever le sujet et de le tirer vers l'avant ou est-ce plutôt une forme de combustion qui se développe dans le bas ventre et qui, en chassant les matières brûlées, imprime une poussée irrésistible au sujet? Je ne saurais le dire. Mais si vous aviez vu le bond qu'a fait notre héros pour se hisser dans cet arbre alors que les griffes du tigre venaient lui érafler le cul, vous vous joindriez à moi pour élever un temple à la déesse Adrénaline.

Le fauve tourna longtemps autour de l'arbre en rugissant de colère. L'autre en haut l'insultait à pleins poumons pour décharger l'énorme tension qui l'habitait encore. Ce tintamarre vint rapidement aux oreilles de la famille qui faisait la sieste un peu plus loin. Ils s'approchèrent et, quand ils virent le tigre, ils se mirent à vociférer et à gesticuler de façon menaçante. L'autre ne demanda pas son reste et disparut dans les fourrés.

Alors notre héros descendit de son arbre et fut accueilli par des caresses et des cris de joie. Ce n'est pas tous les jours qu'un chimpanzé échappe à un tigre.

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Oui, cette histoire a une morale. Elle en a même deux. Vous n'imaginiez quand même pas que j'allais vous conter une aventure qui frôle à ce point la tragédie sans en tirer quelques leçons.

La première, vous l'aurez deviné, c'est qu'on ne saurait trop insister sur l'enseignement des mathématiques. La règle de trois en particulier. Non seulement ça vous évitera d'être dévoré par les tigres mais ça vous permettra aussi de savoir si les biscuits en vrac reviennent moins cher au kilo que les biscuits pré-emballés.

La deuxième leçon c'est qu'on devrait tous devenir des fanatiques du reboisement. Les vertus des arbres sont bien connues et espérons ensemble que la quasi-tragédie rapportée ci-dessus incitera encore plus nos gouvernements à protéger nos forêts. Mon chien à mes côtés, que j'ai emmené cet après¬-midi se promener sur les battures de l'île d'Orléans (où il n'y a pas un seul tigre je vous l'assure), agite sa queue en signe d'approbation. C'est fou l'affection de cette petite bête pour les arbres. Il faudrait bien qu'un jour je lui enseigne à y grimper et pas seulement à pisser dessus. Un tigre ne ferait qu'une bouchée d'un chihuahua, vous ne pensez pas?

*Extrait révisé de L'homme qui souriait en dormant Jean Marcoux Éd. Les Quinze 1994

dimanche 22 août 2010

Capsule de physique No 2

Plongée au coeur de la matière

Le 23 juillet, nous avons vu que la matière est constituée d’atomes qui sont les pièces d’un immense meccano que l’on peut combiner de diverses façons pour fabriquer tantôt une maison, tantôt un cheval et tantôt nous-mêmes. Nous avons aussi vu que l’atome comporte un noyau composé de protons et de neutrons et autour duquel tournoient des électrons. Dès lors, nous nous sommes demandé si nous étions enfin arrivés à l’ultime réalité des choses, aux plus petites particules imaginables.

Eh bien, non : protons et neutrons sont eux-mêmes composés de quarks ! Ici, nous voilà parvenus dans le très, très petit. Ne pourrait-on pas en rester là ?

Les physiciens sont des gens extrêmement curieux et fouineurs, vous savez. Comme tous les scientifiques du reste. Alors ils ont «patenté» un immense machin pour gratter encore plus creux dans le cœur de la matière. Ils ont installé leur nouveau jouet dans un tunnel de 27 kilomètres de circonférence logé à 100 mètres sous terre et chevauchant la frontière entre la France et la Suisse. Il s’agit d’un collisionneur de particules baptisé le LHC (Large Hadron Collider).

Ils ont entrepris de projeter dans ce collisionneur des protons qu’ils accéléreront graduellement jusqu’à des vitesses proches de celle de la lumière (on se souvient que la lumière circule à 300 000km par seconde). Leur but est de faire entrer en collision ces petites particules pour les faire éclater et, possiblement, faire ainsi surgir des particules encore plus petites et totalement inconnues.

Ils espèrent du même coup éclaircir d’autres mystères, particulièrement recréer des conditions semblables à celles qui prévalaient au moment du Big Bang et découvrir la nature de la matière noire (qui, avec l’énergie noire, compte pour 96% du contenu de l’univers dont nous ignorons totalement la nature). Ce ne seraient pas de minces coups d’éclat.

Pour des images de ce nouveau jouet, il suffit de se rendre sur Internet et de «pitonner» le mot LHC.

Les résultats qu’on obtiendra du LHC, si extraordinaires puissent-ils être, constitueront-ils le fin du fin des mystères de notre Univers ? Rien n’est aussi peu sûr car les scientifiques nous disent que plus on creuse dans le cœur de notre Univers, plus le mystère s’épaissit.

En avant-goût de notre prochaine capsule, rappelons les mots de l’astrophysicien James Jean qui disait que notre Univers ressemble plus parfois à une grande pensée qu’à une grande machine.

mercredi 11 août 2010

Dites-moi

Dites-moi pourquoi l’on vit, dites-moi pourquoi l’on meurt…

Pourquoi ce jeune homme qui, dans un frisson d’effroi, sent la folie s’emparer de son esprit ?

Pourquoi cette jeune femme qui crie sa révolte devant une mort inéluctable alors que la vie s’ouvrait toute grande devant elle ?

Pourquoi ce vieux prêtre doit-il encore prêcher des choses et poser des gestes auxquels il ne croit plus car il ne sait rien faire d’autre ?

Pourquoi cette mère soudanaise amaigrie, au sein aussi sec que ses yeux, voit-elle son enfant mourir de faim dans ses bras ?

Pourquoi cet itinérant allongé dans un lit de misère se demande-t-il encore s’il trouvera un jour une raison de vivre ?

Pourquoi cette mère guépard regarde-t-elle de loin en geignant le tigre qui dévore ses petits ?

Pourquoi ce soldat doit-il faire feu sur d’autres hommes qui, peut-être comme lui, ont des bambins qui les attendent à la maison ?

Pourquoi des embarcations de fortune sombrent-elles en mer entraînant dans la mort des réfugiés aux yeux pleins d’espoir ?

Pourquoi ce vieux lion épuisé s’effondre-t-il dans la savane tandis qu’une meute d’hyènes affamées s’avance prudemment ?

Pourquoi ce malheureux passe-t-il de longues années en prison pour une stupide bêtise ?

Pourquoi ces enfants soldats sont-ils entraînés à tuer ?

Pourquoi ces hommes, tels des chiens enragés, torturent-ils d’autres hommes ou lapident des femmes ?

Et la solitude, hein, la solitude ! Qu’en faites-vous de la solitude ? Sans une visite du fils bien-aimé, sans une lettre à la poste, sans même un téléphone depuis un mois. Et cette vieille femme qui se désespère et se meurt d’ennui ?

Pourquoi faut-il vivre des vies de misère pour ensuite mourir ?

Pourquoi, allez-vous enfin me dire pourquoi ?

......

Eh bien, peut-être parce que…

Il y a cette mère qui serre sur son sein l’enfant qui vient de naître ?

Et cette vielle dame qui voit naître en elle un amour comme elle n’en avait jamais espéré ?

Ou les notes enflammées de la symphonie qui jaillit dans la tête de ce compositeur de génie ?

Ou le flamboiement de l’étoile qui surgit, éblouissante et inattendue, d’un nuage de gaz et de poussière ?

Ou ce vieux cultivateur qui, le soir venu, regarde la nouvelle moisson jaillir de sa terre?

Ou ce jeune père qui voit sa petite courir se jeter dans ses bras en poussant des cris de joie ?

Ou ce coureur qui lève un bras victorieux en franchissant la ligne d’arrivée du cent mètres ?

Ou cet astronome qui, malgré sa science, s’émerveille encore devant une nuit étoilée ?

Ou cette jeune fille éperdue d’amour qui danse sous la pluie ?

Ou cet anthropologue qui jubile comme un enfant devant les os d’un dinosaure qu’il vient de déterrer ?

Ou cette énorme baleine qui s’élance au-dessus des flots dans une explosion de joie ?

Ou cet homme qui, dans le silence du crépuscule, sent une immense paix descendre en lui ?

Ou cet enfant qui sanglote dans les bras de sa mère qu’il croyait à jamais disparue ?

......

Sont-ce là, croyez-vous, des réponses à vos questions ?

Ou peut-être en fin de compte, faut-il simplement accepter sa vie comme un immense cadeau même s’il s’y dissimule parfois des vipères et même si elle n’est qu’un bref scintillement qui prendra bientôt fin en emportant avec elle ses mystères insondables ?

samedi 31 juillet 2010

Le visiteur nocturne

L’autre nuit, Dieu est venu me rendre visite. Pour une petite jasette. Il fait ça de temps en temps. On dirait que depuis que je suis plus vieux, Il me fait davantage confiance. Déjà que nous portons la barbe tous les deux. Mine de rien ça rapproche ces choses-là, vous savez. Même qu’Il me tutoie. Ce que je ne fais évidemment pas malgré la familiarité établie entre nous.
Mais, cette nuit-là, Il était rouge de colère. Il avait lu mon blogue et toutes ces faussetés que je répands sur Son compte et sur les religions. Il m’a traité de tous les mots, m’a conseillé de relire la Bible et m’a même menacé d’une fatwa pour bien me faire sentir qu’Il était le Dieu de tous les hommes. Mais Il a scruté mon cerveau et a bien vu que c’était dans les écrits d’Hubert Reeves, de Trinh Xuan Thuan, de Spinoza, de Stephen Hawking, d’Einstein, de ce mauvais plaisantin de Pierre Yves Morvan et même de Pierre Teilhard de Chardin et d’un tas d’autres savants que j’avais puisé toutes mes déviations.
À ce point de Ses vitupérations, j’ai penché la tête et n’ai pas pu empêcher une larme de couler sur mes joues.
Alors, Il a arrêté tout net de parler et Sa colère est tombée. Le Bon Dieu est miséricordieux, ça on le sait. Mais j’ai senti que Son alternance de colère et de miséricorde avait des racines plus profondes.
J’ai relevé la tête et constaté qu’Il affichait soudain une mine sombre. Respectueusement, j’ai levé vers Lui un sourcil interrogateur. Il a mis un moment à me répondre.
«Écoute, m’a-t-Il dit, J’ai lu ce que tu appelles tes ancrages.
J’ai rentré la tête dans les épaules, m’attendant à une autre bordée d’injures et de menaces.
«Non, non, m’a-t-Il dit, ne crains rien. C’est que je cherche les miens, mes propres ancrages je veux dire.* Quand je regarde tout ce que les hommes disent ou écrivent de moi, ça devient très mélangeant, tu sais. Tantôt, je suis un personnage tout-puissant qui règne sur les cieux et sur la terre, tantôt un être de bonté qui ne permet pas qu’un seul cheveu tombe de la tête des hommes sans que je ne le permette,** tantôt un Dieu vengeur comme celui de Sodome et Gomorrhe, tantôt un tyran comme celui qui a chassé Adam et Ève du paradis pour une peccadille, tantôt un père impitoyable qui envoie son fils à la crucifixion, tantôt un dieu éthéré dont on dit «qu’il est celui qui est», tantôt… enfin je ne m’y retrouve plus, moi. Certains vont même jusqu’à dire que je suis un Dieu immanent, un Dieu intriqué dans la nature, que le cosmos et moi ne faisons qu’un. Freud m’a dit - eh bien oui, il est dans mon paradis malgré tout, ce crétin - alors il m’a dit que j’étais atteint du syndrome de personnalités multiples. Et maintenant, avec cette histoire de Dieu immanent, voilà que je ne suis même plus une personne. Je n’aurais pas plusieurs personnalités, je n’en aurais même plus une seule. C’est très difficile d’être Dieu tu sais», a-t-Il terminé, l’air déprimé.
Qu’est-ce que je pouvais répondre à ça, hein? Je ne pouvais quand même pas lui conseiller de consulter un autre psychologue ou Saint Augustin ou Thomas d’Aquin ou quelque autre sommité assise là-haut à ses côtés. Ça l’aurait sans doute mélangé encore plus.
Alors, je n’ai rien dit du tout et, après un long moment de silence, Il m’a mis sur l’épaule une main compatissante puis Il s’est penché vers moi et, après avoir regardé à gauche et à droite pour être bien sûr qu’on ne L’entendait pas, Il m’a murmuré à l’oreille : «Écoute, j’ai lu moi aussi ces écrits impies dont tu parles dans ton blogue. J’ai même lu cette récente publication «Heureux sans Dieu» et, depuis, je n’en dors plus parce que je ne sais plus si j’existe vraiment».
Sur ces mots de consolation, il m’a fait un clin d’œil et m’a donné une bourrade affectueuse. Puis il s’est retourné et est parti.
Je suis sûr que vous conviendrez maintenant avec moi que le Bon Dieu est vraiment un bon diable.

* Le lecteur aura remarqué que j’emploie la majuscule lorsque je parle de Dieu. Mais, de Son côté, Il n’emploie pas la majuscule lorsqu’Il parle de Lui-même. Les conversations avec Dieu requièrent énormément de subtilités.
** À ce point, j’ai failli dire qu’Il avait manqué le génocide du Rwanda où les cheveux restaient sur les têtes mais que, par contre, c’étaient les têtes qui tombaient.

vendredi 23 juillet 2010

Capsule de physique No1

De quoi est faite la matière?

La première question que j’aborderai est donc la matière : de quoi est faite la matière ? Tu parles d’une question, me direz-vous, la matière est la matière, ne cherchons pas midi à quatorze heures !

Bon, reprenons la question autrement :

-De quoi est faite la table sur laquelle est posé votre ordinateur ?
-De bois, dites-vous ?
-Très bien.
-Et de quelle sorte de bois ?
-De pin.
-Parfait. Nous savons donc que votre table a été fabriquée avec un matériau qui est du pin. Et ce pin, d’où vient-il ?
-De la forêt où il a poussé.
-Et comment s’y est-il pris pour pousser ?
-Eh bien, une graine s’est sans doute échappée d’une cocotte de pin et a germé à proximité de son pin géniteur.
-Bien. Maintenant, poussons plus loin notre enquête : comment une toute petite graine de pin a-t-elle pu générer l’immense arbre qu’on a coupé et façonné pour en faire votre table d’ordinateur ?
-Sans doute parce que la petite graine de pin a su puiser dans le sol et dans l’air les nutriments nécessaires à sa croissance.
-Voilà qui est bien dit. Mais par quelle opération magique, ces nutriments (oxygène, calcium, fer, etc.) ont-ils pu devenir arbre ? Je ne peux pas transformer mon stylo en torche électrique, n’est-ce pas ? À moins d’être un excellent magicien ou un thaumaturge comme Jésus-Christ qui, à ce qu’on dit, pouvait transformer l’eau en vin. Alors comment ces nutriments peuvent-ils devenir arbre ?
- ???
-Ce n’est pas d’hier que l’homme se pose ce genre de questions. Déjà, dans l’Antiquité, les philosophes grecs (Parménide, Platon, Aristote, Empédocle, Anaxagore, etc.) se posaient la question : comment l’herbe que mange le lapin peut-elle devenir lapin ? C’est finalement Démocrite qui a trouvé la réponse : tout ce qui existe est fait de petites particules interchangeables : les atomes. Ils sont la menue monnaie de l’univers. Ce sont les pièces d’un immense meccano que l’on peut combiner de diverses façons pour fabriquer tantôt une maison, tantôt un cheval. C’est ainsi que l’herbe peut se changer en chair de lapin et que les nutriments dans le sol et dans l’air peuvent devenir arbre.

Mais les atomes, dont Démocrite avait eu l’intuition, existent-ils vraiment ? Au XIXe siècle, on en doutait encore. Ce n’est qu’au début du XXe siècle, grâce particulièrement aux travaux de Jean Perrin, que la réalité des atomes a pu être prouvée. Ainsi donc l’atome est la réponse à notre question : de quoi sont faites votre table d’ordinateur et, plus généralement, toute la matière connue, des étoiles jusqu’aux pucerons.

En ce début du XXe siècle, l’atome est perçu comme la réalité ultime de la matière : il est insécable et on ne peut aller plus loin dans l’infiniment petit. Tout allait bientôt profondément changer.

À force de scruter l’atome, on découvre qu’il comporte un noyau autour duquel pirouettent et gigotent d’infiniment petites choses : les électrons. Et on n’est pas au bout de nos surprises. Le noyau lui-même est composé de deux particules : des protons et des neutrons. Est-on enfin arrivé à l’ultime réalité des choses, aux plus petites particules imaginables ?

C’est ce que nous saurons dans le prochain épisode de notre palpitante et aventureuse descente au cœur de la matière.

mercredi 14 juillet 2010

Ce qui n'a pas été écrit*

«Ce qui n’a pas été écrit, c’est ce qui m’avait amené dans cette maison ce soir de juin 1954, m’a raconté Antoine.

«On a écrit que je n’avais écouté que mon courage et qu’il s’agissait d’un acte de pur héroïsme. Tous les journaux en ont parlé et on m’a même décoré pour ce haut fait.

«Ce qui a beaucoup contribué à faire de mon geste un tel événement médiatique, c’est la photo prise par un amateur du voisinage. Une photo sensationnelle publiée à la une de tous les journaux : moi, en chemise blanche au col large ouvert, le cheveu roussi et sortant de la maison en flammes avec Marie-Anne évanouie dans mes bras. Une Marie-Anne splendide et touchante dans sa robe de nuit blanche, avec son visage angélique et sa longue chevelure blonde qui pendait librement de sa tête basculée vers l’arrière.

«Je pense d’ailleurs que c’est à ce moment-là que j’en suis tombé amoureux.

«Ce sauvetage, et surtout cette photo, nous ont catapultés à l’avant-scène de l’actualité. Marie-Anne qui, dans son travail de mannequin, n’avait réussi à parader que pour des couturiers de bas étage, est rapidement devenue la cover-girl favorite des magazines et des publicitaires. Pour ma part, je suis devenu un architecte-décorateur très en demande, moi qui étais sans le sou et n’avais décroché ni emploi ni contrat depuis la fin de mes études un an plus tôt.

«Ce qui n’a pas été écrit, c’est que lorsque je suis entré dans cette maison, cette nuit-là, je ne savais pas que le feu couvait dans le hangar arrière. Lorsque j’ai fourré dans ma poche la trentaine de dollars trouvés dans l’armoire de la cuisine, je ne m’étais pas encore aperçu que le feu prenait de l’ampleur. Ce n’est qu’en fouillant dans le tiroir du bahut au salon, que j’ai entendu des cris venant de la rue. Je me suis alors approché de la fenêtre et, dissimulé derrière les rideaux, j’ai vu que les gens rassemblés dans la rue pointaient du doigt la maison. Je n’ai vraiment pris conscience de la situation que lorsque, dans le brouhaha, j’ai saisi les mots «feu, pompiers, alerte…». Sans demander mon reste, j’ai couru vers la cuisine pour m’enfuir par l’arrière. Je ne voulais surtout pas qu’on me voie sortir de cette maison. Mais la fumée opaque et menaçante qui roulait derrière la porte a coupé ma retraite. Paniqué, j’ai fait le tour des pièces, espérant m’échapper par une fenêtre et sortir inaperçu.

«J’entendais maintenant le feu gronder, ce maudit feu qui gagnait du terrain à une vitesse incroyable. Soudain, une explosion fit voler en éclats la porte de la cuisine, me soufflant au visage un nuage brûlant de fumée. Je me suis précipité dans la salle de bains et j’ai refermé la porte. Le visage protégé par une serviette mouillée, je suis ressorti à quatre pattes pour me rendre dans la chambre de façade, la seule pièce que je n’avais pas encore explorée.

«La serviette sur la bouche, je rampais vers la fenêtre lorsque, en passant près du lit, je sursautai à la vue d’une forme humaine inanimée…

«Ai-je agi par compassion ou parce que j’ai vu là ma planche de salut ? Je ne saurais le dire. Après avoir laissé tomber la serviette et arraché les couvertures, j’ai glissé mes bras sous cette personne, l’ai soulevée et, toussant et pleurant, je me suis précipité vers la porte d’entrée à travers les flammes et la fumée.

«C’est, là, dans les marches du court escalier, que ce photographe béni a pris cette photo du chevalier sans peur et sans reproche sauvant la Belle des griffes du dragon.

«Ce qui n’a pas été écrit, c’est que le chevalier, mort de peur, se reprocherait toujours les motifs peu louables qui l’avaient conduit dans cette maison.

«Ce qui n’a pas été écrit non plus, c’est que, après toutes ces années, Marie-Anne et moi, nous nous aimons toujours tendrement bien qu’elle n’ait jamais compris comment j’avais pu récupérer ses bijoux dans le tiroir du bahut.

«Est-il nécessaire de te dire, a ajouté Antoine, que ce récit doit demeurer secret et que jamais, au grand jamais, il ne doit être écrit.

¤

«Femme romanesque, Marie-Anne a insisté pour que nous achetions la maison à demi-incendiée. Nous l’avons évidemment reconstruite et nous nous y sommes installés. Si tu passes par là un soir d’été, tu verras Marie-Anne se bercer sur la galerie et, pour peu que tu lui adresses la parole, son merveilleux visage s’épanouira. Elle trouvera sûrement le moyen de détourner la conversation pour te raconter ma conduite héroïque lors de cette fameuse nuit de 1954.

«Ne va surtout pas lui apprendre ma version des faits. Elle serait capable de mettre le feu à la maison rien que pour me donner une nouvelle occasion de te prouver mon héroïsme.

«Et, franchement, me vois-tu, à mon âge, la soulever dans mes bras ? Elle pèse maintenant dans les soixante-dix kilos, tu sais. Je devrais la traîner dehors par les pieds. Encore bien chanceux si ce n’est pas elle qui devait me sortir de là.

«Et qui me dit qu’il n’y aurait pas dans les parages quelque photographe un peu zélé ?»


¤

Cet épisode de la vie de mon vieil ami Antoine est mot à mot celui qu’il m’a raconté quelques jours avant sa mort survenue de près par celle de Marie-Anne. Je lui ai juré de ne jamais en souffler mot à personne. Mais vous me connaissez, hein, je ne tiens jamais mes promesses. Ce n’est pas une question d’infidélité, c’est ma mémoire qui s’en va à vau-l’eau.


*Extrait révisé de L'homme qui souriait en dormant Jean Marcoux Éd. Les Quinze 1994






lundi 5 juillet 2010

C'était un 17 juillet

Ce moment magique, j’ai essayé de le faire revenir devant mes yeux à plusieurs reprises, mais il m’échappe toujours. Il ne m'en reste que des bribes, comme l'étrange rêve qu'on essaie de revivre au réveil.

C'était un 17 juillet, vers 20h30.

Nous revenions doucement de l'île d'Orléans et avions pris le Chemin des Prêtres, un chemin de traverse qui va de Saint-Laurent à St-Pierre. Une route qui ressemble à la Route du Mitan un peu plus à l'est, mais plus courte et un peu moins spectaculaire.

Et c'est là, en descendant vers St-Pierre, que nous avons vu ce spectacle. Nous nous sommes arrêtés pour mieux voir ce qui se passait, comme beaucoup d'autres gens du reste. Le ciel était couvert. Nous n'avons vu le soleil que pendant un bref moment, du côté de la Côte de Beaupré: un disque rond, parfaitement découpé au-dessus des montagnes, mais sans éclat, aux rayons étouffés dans les nuages. Mais, même une fois disparu, le soleil continua à illuminer une large bande d'horizon d'une lumière diffuse orangée. C'est surtout cette lumière qui était extraordinaire. Un vrai paysage d'Apocalypse que certains même trouvaient terrifiant. Au-dessus de cette bande, des nuages opaques avec une frange violette. Des éclairs lointains ajoutaient à cette scène de jugement dernier. Un paysage sinistre mais de toute beauté. On se prenait à espérer de voir apparaître le Dieu éternel et justicier.

De l'autre côté de la route, des jeunes filles jouaient au foot sur un terrain de jeu. Sans trop savoir pourquoi, cette ambiance m'a plongé dans un vague passé qui m'échappait, des sentiments plus que des souvenirs, des réminiscences floues dont il ne me restait que les effluves. J'aurais voulu figer ce moment. Je m'y sentais bien. Comme si le temps n'existait plus. Comme si j'étais transporté dans un autre monde. Comme si je revenais aux jours de mon enfance alors que la vie était éternelle. Comme si le paradis était à portée de main. Comme si ... je ne sais pas.

Nous sommes revenus sous la pluie battante mais l’âme étrangement en paix. J'avais l'impression d'avoir vécu un épisode d'Alice au pays des merveilles.

lundi 3 mai 2010

Les galettes à l'avoine

Il était une fois une bonne mère de famille comme il s’en faisait autrefois (et comme il en reste d’ailleurs encore plusieurs aujourd’hui) et qui décida un beau jour de fabriquer une fournée de galettes à l’avoine pour sa marmaille. Elle sortit alors de ses armoires de la farine, de la poudre à pâte, des flocons d’avoine, du sucre, de la cassonade, de la margarine, un œuf, une pincée de sel et une petite fiole de vanille.

Vous savez, comme moi, que chacun de ces ingrédients, pris séparément, n’a pas très bon goût. Une tasse de farine, vous savez, ou une cuillerée de margarine ne remportera jamais de grands prix aux concours culinaires.

Mais notre cuisinière mêla le tout qui devint une pâte informe qui, pour l’instant, n’annonçait rien de bon. Mais elle étendit cette pâte en petits paquets sur une plaque qu’elle mit au four. Alors, ô miracle, les petits paquets de grisaille se mirent à gonfler et devinrent de jolies galettes.

La marmaille, comme on s’en doute, se précipita sur les galettes et les engouffra. Et alors, ô nouveau miracle, les estomacs des petits pétrirent les galettes et, par maints tours de magie, en convertirent plusieurs en cellules vivantes qui circulèrent dans le corps des petits et s’y intégrèrent et, le croirez-vous, la farine, les œufs, la margarine et tous les ingrédients que leur mère avait mis dans ses galettes devinrent des petits Maxence, Joséphine, Amélie et Toto.

Si vous interrogez les savants, ils vous diront que les éléments primitifs du début (farine, etc.), une fois pétris dans le corps des petits, sont devenus des cellules vivantes. Ils sont donc devenus beaucoup plus complexes qu’ils ne l’étaient au départ.

Eh bien, c’est là, à petite échelle, toute l’histoire de l’univers.

Lorsqu’il est né, notre univers n’était qu’une soupe informe et extrêmement chaude, un mélange sans bon sens de particules infiniment petites, incroyablement tassées les unes sur les autres et se chamaillant à qui mieux-mieux. La désorganisation totale, un vrai bordel quoi !

Et il arriva ce qui devait arriver : la soupe, devenue trop chaude, fit exploser le couvercle de la marmite et se répandit partout. C’est ce qu’on appela le gigantesque flash du Big Bang.

Mais c’était encore la grande confusion. Il fallut des millions d’années avant qu’un début d’ordre naisse de ce chaos. Ce furent d’abord de grands nuages de ces particules indisciplinées qui commencèrent à se rassembler en vastes ensembles que, plus tard, les savants appelèrent nébuleuses. Les particules prirent goût à ces rassemblements et se tassèrent les unes sur les autres pour fabriquer de nouvelles particules, essentiellement de l’hydrogène, et de l’hélium comme, encore une fois, les savants les appelèrent plus tard. À force de se tasser, ces particules se réchauffèrent tellement qu’elles finirent par prendre feu : les étoiles étaient nées ! Rien de moins ! L’Univers devint lumineux.

Mais les étoiles, toutes étoiles qu’elles sont, demeurent des créatures plutôt primitives : de vastes brasiers qui consomment à chaque instant des tonnes d’hydrogène. Mais rendons leur quand même ce qui leur revient : elles entreprirent de fabriquer des noyaux de multiples nouveaux éléments.

Les plus grosses de ces étoiles, étouffant sous leur propre poids et n’en pouvant plus, éclatèrent alors dans de formidables explosions, projetant aux quatre coins de l’univers les noyaux qu’elles avaient fabriqués dans leur cœur. Ces noyaux ne périrent pas pour autant. Ils survécurent et se firent copain-copain avec les multiples autres petites particules qui gigotaient dans la soupe initiale que le Big Bang avait disséminées et que, plus tard encore une fois, on baptisa de noms affectueux comme électrons, photons, quarks, bosons, mésons, etc. Cette association produisit, devinez quoi : des atomes de toute sortes! Des atomes de fer, des atomes de cuivre, des atomes de zinc, etc., etc.

Les atomes, on le sait, sont les briques de la matière. Mais, comme on le sait aussi, les atomes ont pris goût à l’invention et se sont regroupés en molécules qui se sont associées de mille et une façons pour arriver à fabriquer tous les trucs que l’on trouve dans la nature : les nuages qui flottent au-dessus des océans aussi bien que les masses d’eau qui remplissent ces océans, la pierraille agrippée au Mont Blanc aussi bien que l’air qui se raréfie quand on escalade ce Mont, le feu qui gronde au sein des volcans aussi bien que les plaques tectoniques dont le choc secoue notre planète et toute la panoplie des choses que l’on connaît.

Ces ingénieux petits atomes se sont même mis à s’assembler en grosses molécules puis en cellules qui, par des opérations magiques, ont créé la vie dans les pissenlits qui enjolivent votre gazon (et que vous vous obstinez à saboter), dans la mésange qui vient picorer dans votre mangeoire d’oiseaux, dans la grenouille qui paresse dans son étang, dans les saumons dont les grizzlys guettent le passage et toutes ces «bibittes» qui sillonnent notre planète.

Mais la nature avait encore bien des trucs dans son sac à magie. Elle s’est retroussée les manches et a entrepris de fabriquer un être à deux pattes, plutôt hirsute au début, mais qu’elle a longuement fignolé pour finalement lui implanter dans le crâne une conscience. Cette chose à deux pattes avec une petite jugeote plantée sous sa chevelure, eh bien c’est vous et c’est moi. Le chef d’œuvre, dit-on de la nature (du moins vous, moi c’est pas sûr). Le seul être dont on dit qu’il peut prendre conscience de l’univers qu’il habite et le seul aussi qui se rend compte peu à peu qu’il fait partie de cet univers.

Et voilà que «nous comprenons un peu mieux comment l’organisation et la complexité ont pu émerger du chaos primordial» (dixit Hubert Reeves) et «comment de savoureuses galettes ont pu émerger d’un chaos immangeable de farine et de margarine» (dixit bibi).

Si, un jour, j’entreprends d’écrire mon arbre généalogique, je remonterai bien au-delà de mon arrière-arrière-grand-père. Je remonterai toute la lignée des primates, des reptiles, des poissons, des cellules, des molécules, des atomes, des noyaux et de toutes ces infiniment petites particules qui gigotaient dans l’univers d’avant le Big Bang. J’en parlerai au curé de ma paroisse mais je ne pense pas qu’il retrouve tout ce beau monde dans ses grands registres. Ce n’est même pas certain qu’il retrouve Adam et Ève en cours de route.

Alors, en attendant, moi je dis Chapeau ! Chapeau à cette merveilleuse nature qui, de tâtonnements en tâtonnements, à partir d’une informe soupe primitive, a su patiemment bâtir, après des milliards d’années, une chose aussi complexe que le cerveau humain.

Et c’est grâce à ce merveilleux outil que leur mère porte sous sa magnifique chevelure que les petits Maxence, Joséphine, Amélie et Toto mangent aujourd’hui les délicieuses galettes cuisinées par leur mère.

C’est là, je vous le répète, toute l’histoire de l’univers.

mercredi 21 avril 2010

Conversation de printemps

Conversation d’un matin de printemps
avec mon voisin de balcon


- Comment ça va ce matin ?
- Ça va, ça va bien

- Et les ruisseaux ?
- Ça gargouille

- Et la pluie ?
- Bien ça mouille

- Et les arbres ?
- Ça bourgeonne

- Et les mers ?
- Ça moutonne

- Et les lapins ?
- Ça grignote

- Et les rongeurs ?
- Ça marmotte

- Et les vaches ?
- Ça rumine

- Et les poètes ?
- Bien ça rime


- Et les écrivains ?
- Ça scribouille

- Et les politiciens ?
- Ça grenouille

- Et tes vieux ?
- Ça radote

- Et les tiens ?
- Ça chipote

- Ainsi donc je vois
Que ça va, ça va bien

- Oui, l’air s’adoucit
Et puis l’été s’en vient

Ainsi l’autre matin
Avons-nous causé

Moi et mon voisin
Tout en vidant nos bières

Avant d’aller poser
Nos portes moustiquaires

lundi 12 avril 2010

Lettre au pape

Cher pape,

Il faut bien se rendre à l’évidence, votre Église prend l’eau de toutes parts en Occident. Passez-moi l’expression, elle s’en va au diable. Pas besoin de vous en faire la démonstration, vous n’avez qu’à vous arrêter un petit moment sur la désaffection de vos églises. Vous m’objecterez peut-être la foi des Américains mais regardez un peu les dérives que prend cette foi: la multiplication des nouvelles «églises», comme l’église de la scientologie, qui poussent à tous les coins de rues. Tous ces «preachers» qui, au nom du christianisme, lancent des sectes à gauche et à droite, pour le pognon bien entendu mais qui vous ravissent quand même votre clientèle. Et ces attardés mentaux qui, encore au XXIe siècle, prêchent le créationnisme.

Vous direz peut-être que votre Église a encore le vent dans les voiles en Amérique latine et en Afrique mais attendez un peu que ces gens s’instruisent et il arrivera ce qui est arrivé ici au Québec : une société ultra catholique et conservatrice qui s’est émancipée et qui a déserté ses églises dès que, avec «La révolution tranquille» des années 60, on a ouvert toutes grandes les portes des établissements d’enseignement.

Non vraiment, votre Église n’a pas d’avenir. Comme c’est parti là, elle s’en va droit dans le mur. D’ailleurs, vous le savez bien, vous qui avez des lettres : tout passe (Ta panta rei, comme disait ce vieux philosophe grec Héraclite), les religions aussi bien que les empires. Mais, en attendant, pourquoi ne pas lui donner un nouveau souffle à cette vieille Église qui est la vôtre? Hein, pourquoi pas?

Avec tout le respect qui vous est dû, je me permettrai de vous faire quelques suggestions pour sauver les meubles. Des suggestions toutes simples vous verrez.

Au départ, disons que la règle de base serait la recherche de moyens pour amener vos fidèles à être le plus heureux possible. Alors voilà quelques mesures pour mettre cette règle en application.

1o Descendez le Christ de sa croix. L’image d’un crucifié est morbide et du plus mauvais goût. Les «britiches» diraient shocking. D’autant plus que, suivant la légende, la victime est censée racheter par son geste le péché commis par nos arrières-arrières-arrières grands-parents. Et qui aurait consisté à croquer une pomme. Voyons donc! Une histoire invraisemblable pour entretenir chez l’homme un sentiment de culpabilité tout à fait contraire à la règle de base posée au départ. Puis les enfants, avez-vous pensé aux enfants? C’est une image aussi violente que le Grand Méchant Loup en train de manger le Petit Chaperon rouge. Alors, pas d’hésitation, descendez Jésus de sa croix et laissez-le tranquille dans sa crèche de Bethléem.

2o La transsubstantiation : faire croire aux gens que lorsqu’ils communient, ils mangent le corps d’un homme mort il y a deux mille ans. C’est ni plus ni moins que de l’anthropophagie, vous rendez-vous compte? Et nos pauvres enfants, encore une fois, à qui on enfonce ces absurdités dans le crâne. À tout prendre, le Petit Poucet me paraît encore plus vraisemblable.

3o L’enfer. Le feu éternel. Comme si on avait le cul sur le rond du poêle. Et pour l’éternité, avec cette grosse horloge qui répète sinistrement et inlassablement «Toujours (rester), Jamais (sortir)». Qu’est-ce qui a pris à votre sainte Église d’inventer une histoire pareille? J’en ai encore des frissons quand je pense à nos prédicateurs du carême qui nous menaçaient de cette géhenne éternelle si nous avions le malheur de tripoter un peu les fesses de nos petites voisines en jouant au docteur. Même vos théologiens ne croient plus à Satan et son maudit trident. C’est du sadisme de la pire espèce, complètement à l’encontre de la règle de base. Alors, je vous en supplie, débarquez-moi ça de votre Crédo et ça presse.

4o Le carême, la pénitence, la confession, le jour des morts, le Dies irae et j’en passe, toutes des affaires teintées de jansénisme. Vite, débarrassez le plancher.

5o Le célibat des prêtres. Quelle foutaise! Pas étonnant que vous ayez tous ces scandales de pédophilie sur les bras. À abolir évidemment. Il y a un tas de religieuses qui ne demanderaient pas mieux que de devenir des Madame-curés. Et quant à y être, il serait grand temps que vous permettiez aux femmes de devenir elles-mêmmes curés. Cette interdiction relève d’un sexisme complètement dépassé de nos jours.

6o Par contre, le Paradis, oui, ça c’est une bonne idée. Allez, ouste : le paradis pour tout le monde. Pas de bousculades, avancez en arrière! Imaginez, le pique-nique éternel. Ça risque d’être un peu long et les sandwiches vont peut-être finir par goûter fade mais faut maintenir ça, même si vous n’y croyez pas plus que moi. C’est très bon pour le moral.
Vous m’objecterez peut-être que les méchants recevraient le même traitement que les bons. Pas de problème : annoncez que les bons auront des places V.I.P. et que les méchants devront se contenter du haut des gradins, dans le «pit», comme on dit chez nous. Ne soyez pas trop dur quand même. Dites-leur que tout le monde pourra descendre sur la glace de temps en temps pour disputer un match de hockey aux anges mais que les méchants se feront tasser sur les bandes et tabasser par les anges les plus costauds.

7o Même chose pour les fêtes de Noël et de Pâques. À maintenir absolument, ne serait-ce que parce que les enfants adorent les cadeaux et le chocolat.

8o Savoir que ça ne vous priverait pas trop, je vous suggérerais d’organiser un gigantesque marché aux puces pour liquider tous les trésors et babioles qui encombrent le Vatican. Puis de distribuer aux pauvres le produit de la vente. Imaginez simplement toutes ces vieilles tiares et mitres mises à l'enchère et même la papamobile. Ça rapporterait des fortunes. Un coup de pub sans précédent.

9o Et surtout, surtout, cessez de déconseiller l'usage du condom à ces pauvres Africains qui se meurent du sida. C'est criminel ce que vous faites là.

Bon, je n’irai pas plus loin avec mes suggestions car je pense que vous avez saisi l’idée générale: changer l’image austère de l’Église pour une image de joie, de bonheur. Je vous jure qu’avec ça, l’Islamisme n’a qu’à bien se tenir.

Et, pour lancer le mouvement, je vous suggère de rassembler tout ce qui porte mitre, barrette, calotte et chasuble pour leur annoncer la bonne nouvelle. Peut-être même, pour la circonstance, devriez-vous, vous-même, porter un jean. Il s’en fabrique de très beaux aujourd’hui, vous savez. En denim. Et des babouches aux pieds, tiens. Le Christ ne se promenait-il pas pieds nus? Ça donnerait le ton.

Puis, pour donner suite, une lettre pastorale dans laquelle vous intimeriez à tous les curés de la terre l’ordre de rappeler à leurs ouailles que leur premier devoir est de rechercher le bonheur ici-bas pour eux et pour leur prochain. Au cas où il n’y aurait pas d’après-vie. Une sorte de pari de Pascal mais à l’envers.

Le tout humblement soumis.

mercredi 31 mars 2010

Capsule astronomique No 8

Brève histoire de l’homme et de son univers

Il est bien loin le temps du poète Homère alors que la terre se limitait à une partie de la Méditerranée entourant la Grèce. En ce temps-là, la terre était immobile au centre de l’univers et tous les astres faisaient cercle autour d’elle.
Au surplus, Aristote, 3 siècles A.C., avait décrété une fois pour toutes que les étoiles, tout en tournant elles aussi autour de la terre, étaient irrémédiablement figées dans leur position.

Tout alla bien ainsi pendant 2000 ans. Pas besoin de se casser la tête : les dieux de la mythologie réglaient tout, remplacés, au tournant du 1er siècle P.C. par un Dieu unique qui confirmait le géocentrisme car l’homme, l’enfant chéri de ce Dieu unique, avait été installé, perché sur son astre, au centre de l’univers.

Copernic, au XVIe siècle, jette la première pierre dans cet étang de certitude en plaçant le soleil au centre de l’univers, bientôt suivi par Galilée et bien d’autres.
Peu importe, se disait-on, le système solaire demeure au centre de l’univers. Mais, au XVIIIe siècle, nouvelle pierre dans l’étang : William Herschel découvre la Voie lactée (VL) et ses milliards de soleils. Peu importe, se dit-on encore une fois : on s’empresse de situer le soleil et son cortège de planètes au centre de la VL.

En 1918, nouvelle dégringolade : Harlow Shapley détrône le système solaire du centre de la VL pour le reloger en banlieue. Mais, au moins, la VL, qui abrite le système solaire, est plus que le centre de l’univers : elle constitue tout l’univers. Elle est une grosse goutte d’étoiles dans un vide infini.

Puis, en 1923, coup fatal à la VL : Edwin Hubble découvre d’autres galaxies en dehors de la VL. Pire, ces galaxies, les poches pleines de milliards d’étoiles, se fuient les unes les autres à grande vitesse. Aristote, qui avait figé les étoiles, se retourne dans sa tombe. Graduellement, on découvre des milliards de galaxies et leur fuite éperdue révèle un univers de démesure.

La terre, déchue à tout jamais du centre de l’univers, devient une insignifiante petite planète tournant autour d’une étoile bien ordinaire vivotant en banlieue de sa galaxie, elle-même perdue dans l’immensité de l’univers.

L’homme, qui s’était orgueilleusement planté au centre de l’univers, est piteusement détrôné.

Mais le pauvre humain n’était pas au bout de ses surprises car on lui apprendra bientôt :
- que son univers est né d’une toute petite particule qui a explosé il y a 13 milliards d’années pour ensemencer l’univers d’étoiles et de planètes enfermées dans des galaxies lancées dans leur course folle vers l’infini;
-que son arbre généalogique remonte jusqu’aux étoiles qui ont fabriqué ses atomes;
-que son gîte, la terre, a été formée il y a quelque quatre milliards d’années;
-que la vie y est apparue il y a quelque 3,5 milliards d’années, sans que nous n’ayons la moindre idée du pourquoi de cette survenance;
-que l’homme moderne n’a surgi que depuis environ 200 000 ans, sans que nous n’ayons non plus aucune explication pour l’apparition de la conscience;
- qu’il est donc un nouveau venu dans l’univers et qu’il peut disparaître tout autant que les autres espèces;
-que l’univers qu’il se croyait en mesure de décoder se révèle de plus en plus cachotier et mystérieux car nous ne connassons la nature que de 4% de la matière et de l’énergie qu’il contient, 96% demeurant résolument impénétrable;
-que de ce 4% dont nous connaissons la nature, 3,5% demeure invisible.

Au bout du compte, loin de se décourager devant tous ces mystères, on peut s’ébahir de voir comment l’homme, qui n’a accès qu’à une toute petite fenêtre sur son univers, réussit quand même l’exploit de lever de plus en plus de coins du voile sur ces mystères, particulièrement depuis le XXe siècle.

Il y a sûrement un côté angoissant dans cette découverte d’un univers de démesure qui échappe à notre entendement mais, il y a un côté emballant à nous voir peu à peu sortir de l’obscurité moyenâgeuse dans laquelle nous avons été depuis si longtemps enfermés.

Les nombreuses et excellentes vulgarisations scientifiques que nous offrent aujourd’hui des astrophysiciens comme Hubert Reeves et Trinh Xuan Thuan, pour ne mentionner que ceux-là, nous font redécouvrir toute la joie de connaître qui illuminait notre jeunesse.

Et les images de cet univers auxquelles nous donne accès le télescope Hubble, particulièrement les images des nébuleuses, nous permettent d’entrevoir toutes les beautés et merveilles que recèle notre mystérieux univers.

lundi 15 mars 2010

À la rencontre du 2e type

Donc, une belle nuit, nous voilà prêts à partir vers l’espace infini à la recherche d’une forme de vie intelligente sur une planète. Comme les planètes sont les compagnes de route des étoiles, vaut évidemment mieux voyager de nuit alors que les étoiles sont facilement repérables.

Pour réussir dans notre entreprise, nous ferons, comme vous le savez, de la téléportation, c’est-à-dire que les atomes, qui sont la matière de notre corps, se détachent en quelque sorte du corps pour se reconstituer ailleurs. C’est comme le lapin qui disparaît de la main du magicien pour se retrouver instantanément dans son chapeau. C’est tout simple, paraît-il, car les astronautes de Star Trek le font couramment.

Oui, vous pourrez garder vos vêtements qui se dématérialiseront en même temps que votre corps. Non, pas besoin de vous vêtir chaudement car nous choisirons des planètes juste à bonne distance de leur étoile pour ne pas griller ni nous frigorifier. Y a-t-il de telles planètes? Oui, sûrement, parmi les milliards de milliards de planètes de l’univers. Quelles planètes choisir? Ne vous en faites pas avec ça : la NASA m’a fourni une liste. Comment fait-on pour se rendre à destination? Il n’y a qu’à penser la planète où l’on veut atterrir et, bingo, nous y voilà. Faut-il une cabine de voyage? Non, mais il faut une cabine de dématérialisation à bord de laquelle nous monterons pour les départs. Cette cabine, du reste, se dématérialisera en même temps que nous pour se reconstituer au point d’arrivée. Nous en aurons besoin pour tous nos déplacements. Où trouverons-nous une telle cabine? Rien de plus simple, j’ai un ami astrophysicien qui m’en a bidouillé une, en s’inspirant, m’a-t-il dit, du confessionnal de verre du cardinal Ouellet. Publierons-nous les résultats de cette expérience fantastique? Oui, je tiendrai un journal de bord que je publierai et qui aura sans doute un grand retentissement. Nous nous partagerons les revenus de publication.

…D’autres questions? Non? Vous êtes prêts? Bon, la nuit est belle, alors en voiture…après vous, Mesdames…

Extraits du Voyage au bout de l’univers effectué en mars 2010 par «L’équipe du 1er type»:

…Après moult arrêts sur des planètes toutes plus étranges et plus belles les unes que les autres, c’est en fin de compte dans la constellation du Sagittaire que nous avons trouvé la planète bénie que nous recherchions. En y posant pied, nous avons tout de suite su que c’était la bonne planète. La beauté des lieux était à couper le souffle : de vastes forêts aux arbres de toutes les essences et suffisamment dégagés pour qu’on pût y circuler librement, d’immenses prairies piquées d’une variété infinie de fleurs, des oiseaux aux ailes multicolores, des eaux bleues étincelantes sous un soleil de Méditerranée… Le rêve, je vous dis, le rêve. Notre stupéfaction fut à son comble lorsque nous croisâmes des animaux. Ceux qui, sur terre, étaient considérés comme de dangereux carnivores, n’étaient ici que de paisibles herbivores. Les lions ne mangeaient pas les cerfs qui broutaient à leur côté…ni d’ailleurs les astronautes. (Nous apprîmes plus tard que c’est à ce signe que l’on reconnaît les paradis terrestres).

Nous marchâmes longtemps dans ce paysage enchanteur sans rencontrer âme qui vive. C’est à l’approche d’un merveilleux jardin que nous comprîmes enfin ce qu’était ce pays de rêve. Une grande affiche annonçait :

«Paradis terrestre – 2e essai»

Au milieu du jardin, deux êtres magnifiques nous attendaient, souriants. C’était donc ça : le Tout-Puissant s’était refait la main et ces deux là étaient des Adam et Ève de deuxième génération. Deux êtres d’une grande beauté qui nous accueillirent chaleureusement en nous disant qu’ils avaient été prévenus de notre arrivée et nous attendaient avec joie. Ils étaient très sommairement vêtus comme on pouvait s’y attendre mais les larges feuilles qu’ils avaient choisies pour cacher leur sexe (on les avait prévenus que nous n’étions pas des nudistes) étaient d’un goût exquis.

Ils entreprirent de nous faire visiter les lieux et, devant nos pressantes questions, de nous décrire leur mode de vie. «Une vie de rêve, nous dirent-ils, nous ne manquons de rien. Nous n’avons qu’à tendre la main pour cueillir fruits et légumes, sans même avoir à cultiver» et, joignant le geste à la parole, ils nous guidèrent dans une visite d’un coin de leur immense jardin où abondaient les arbres regorgeant de fruits d’une infinie variété. Mais lorsque nous leur fîmes part de notre étonnement de ne pas voir de pommes, ils nous dirent n’avoir jamais entendu parler de fruits portant ce nom. Leur vie était vraiment sans soucis. Ils passaient leurs journées en longues promenades sur leur merveilleuse planète. Ils n’avaient pas de voisins tapageurs car ils étaient seuls à habiter ici. Pas de problèmes avec les enfants non plus car, nous dirent-ils avec un soupçon de tristesse dans les yeux, ils n’en avaient pas.

À leur tour, ils nous interrogèrent. Nous leur expliquâmes que nous étions des humains de première génération. Que nos lointains ancêtres avaient désobéi aux ordres en croquant une pomme et que tout avait alors mal tourné. Depuis ce temps, nous devions travailler pour gagner notre sel, nous nous engagions parfois dans des guerres barbares et interminables, beaucoup d’entre nous mouraient de faim, nous avions des prisons pour nous protéger des voleurs et des tueurs, bref, ce n’était pas toujours jojo sur notre petite planète. Par contre,nous avions aussi de bons moments. Il y avait du football,des courses automobiles,du ski acrobatique et de la pêche à la ligne. Il y avait aussi les avions, la télé, les ordinateurs, le cinéma,les téléphones portables et la danse en ligne. Puis les carnavals, les pique-niques avec les enfants, les glissades en traîneau et les cadeaux de Noël. Et c’est sans compter les femmes qui adoraient le magasinage, les parades de mode, les enfants qu’elles allaitaient au sein et… à ce moment, ma femme me donna un coup de coude dans les côtes* car elle avait vu une larme perler aux yeux d’Ève.

Nous passâmes un long moment avec eux en dégustant d’excellents nectars et de délicieux fruits.

Quand vint le moment de partir, Adam me tira discrètement par la manche et me glissa à l’oreille : «À ton retour, pourrais-tu nous apporter une ou deux pommes?»


Je ne peux, pour le moment, rien dévoiler de plus sur notre rencontre du 2e type car notre éditeur nous l’interdit.

*Ma femme a cette mauvaise habitude de me donner des coups de coude dans les côtes comme pour reprocher à Adam d'avoir engendré Ève de cette façon.










Vol en rase-mottes*

Vous qui dites bien connaître le fleuve Saint-Laurent, l'avez-vous jamais survolé de nuit? Non! Non! Pas en 747 ou en DC8 à dix mille mètres d'altitude. On ne voit rien à ces hauteurs. Pas en Cessna non plus, c'est trop bruyant. Même pas en ultra léger. C'est bien trop dangereux de se casser la gueule dans ces petits engins. Et qui pourrait bien aller vous récupérer en pleine nuit au milieu du fleuve, hein?

Non, moi je vous parle d'un vol à très basse altitude, silencieux et sûr.
Comment est-ce possible, dites-vous?

C'est là mon secret. Entendons-nous bien toutefois. Je veux bien vous le dévoiler mais il faut absolument que ça reste entre nous. Le jurez-vous sur la tête de votre mère? Vous êtes né de parents inconnus, dites-vous? Allons, ne faites pas le pitre. Jurez-le... Bon, ça va.

Le monde est si méchant, vous savez. Mon secret est si simple qu'on pourrait m'accuser de sorcellerie ou d'avoir vendu mon âme au diable ou, même pire, d'être un membre de la secte des raëliens.

C'est bien parce que vous êtes vraiment un être au-delà du commun, déterminé comme on n'en voit plus et, par-dessus tout, possédant une foi à soulever les montagnes, que je vous dévoilerai ce secret.

Le vol dont il est question ici se pratique sans l'aide d'aucun appareil. Il s'agit simplement d'avoir un vêtement approprié. Une simple tunique, assez ample pour faciliter la portance lorsqu'on ouvre les bras. Rien d'autre, je vous l'assure. Tout est dans la tête.

Il faut évidemment se trouver un juchoir pour le départ, comme l'on fait en deltaplane. Je vous recommande fortement un clocher d'église. D'abord parce que vous en trouverez plusieurs commodément situés le long du fleuve, mais surtout parce que vous trouverez au sommet de ces saints lieux une ambiance propice au recueillement, ingrédient indispensable au vol libre que je vous propose ici. Comme vous le savez, la plupart des églises sont verrouillées de jour comme de nuit. Alors il vous faudra peut-être vous glisser dans le clocher à la faveur de la messe du matin. Apportez-vous un petit lunch, car vous devrez attendre jusqu'à la nuit dans votre perchoir. Des choses légères. Un estomac lourd tient mal l'air.

Choisissez une nuit de pleine lune pour bien jouir du paysage. Recueillez-vous une bonne heure avant le décollage. Imaginez-vous volant dans la nuit étoilée. Ne pensez qu'à ça. Le moment venu, montez sur l'appui du clocher qui donne du côté du fleuve en prenant bien soin de ne pas heurter le battant de la cloche. Ce n'est pas le moment d'alerter tout le village. Dès lors, concentrez-vous bien. Je vous assure que si, à ce moment, vous parvenez à vous visualiser volant dans les airs et vous y croyez, ça marchera. Fléchissez alors les genoux, descendez les bras le long du corps et, d'une solide détente des jarrets, projetez-vous vers le haut à un angle de 45o en lançant les bras vers l'avant d'un mouvement vigoureux pour tirer votre corps vers le haut (vous avez déjà vu faire Superman, n'est-ce pas?). A partir de ce moment, ne laissez jamais, vous m'entendez, JAMAIS, le moindre doute envahir votre esprit.

À une hauteur de deux à trois cents mètres, abaissez les bras à un angle d'environ 30o de l'axe du corps et tournez les mains vers l'avant par une rotation des avant-bras (vous savez comme le fait la statue du Seigneur lorsqu'Il dit "Laissez venir à Moi les petits enfants"). Ce simple mouvement de freinage aura pour effet de vous amener à l'horizontale. Une fois ainsi établi à l'horizontale, détournez les mains. Vous naviguerez alors parallèlement au sol. À ce moment, ouvrez les bras comme pour faire le saut de l'ange. Ceci assurera votre stabilité. Maintenez cette position pendant quelques minutes pour bien sentir la portance de l'air. Tournez alors légèrement les paumes vers l'avant et vous vous verrez aussitôt prendre de l'altitude. Tournez- les vers l'arrière et vous redescendrez. Vos mains jouent le rôle des volets sur les ailes d'un avion. Basculez le corps vers la gauche ou vers la droite et vous vous verrez aussitôt virer du côté où vous avez basculé. A partir de là, je vous laisse découvrir vous-même les merveilles du vol et toutes les pirouettes et cabrioles que vous ne tarderez pas à apprendre.

Laissez-moi toutefois vous suggérer un itinéraire pour cette première envolée au-dessus du fleuve. Partez de Champlain, ce fort joli petit village à quelques kilomètres à l'est du Cap-de-la-Madeleine sur la rive nord du Saint-Laurent et descendez avec le courant. Si vous longez la rive, faites attention aux cargos qui passent si près qu'on les croirait en train de se faire un chemin dans les pelouses derrière les maisons. Je vous laisse découvrir Batiscan, Sainte-Anne-de-la-Pérade et Grondines. Ensuite, ce sera Deschambault et sa place de l'église qui vaut vraiment le coup d'oeil, puis Portneuf avec son quai en eaux profondes de près d'un kilomètre de long. Tiens, là, je vous suggère de partir de la rive et de remonter en rase-mottes tout le long du quai pour soudain déboucher au-dessus des eaux noires du fleuve. Frissons, saisissement et ravissement garantis. Pour finir en beauté, vous remontez en traversant le fleuve pour aller planer au-dessus des falaises de la Pointe du Platon où vous découvrirez le magnifique domaine Joly-De ¬Lotbinière. Dès que vous reviendrez au-dessus du fleuve, basculez bien le corps vers la droite pour prendre l'incroyable coude à 90o que fait le fleuve immédiatement à l'est de Portneuf pour couler vers Cap-Santé et son pittoresque Vieux-Chemin qui débouche sur son imposante église de 1755. Puis ce sera Donnacona et les hautes cheminées de son usine de papier crachant leur fumée blanche dans la nuit noire, Neuville avec son petit village perché sur la colline, Saint-Augustin et son vieux Chemin du Roi qui longe le fleuve, Cap-Rouge et son extraordinaire chemin de fer aérien, les deux ponts de Québec, le Cap Diamant...avez-vous déjà vu le Château Frontenac la nuit du haut des airs? C'est un spectacle, je vous assure, tout un spectacle!

Écoutez, je parle, je parle, mais il est bien inutile de décrire avec des mots le voyage que vous entreprendrez. C'est tout simplement une aventure féerique et exaltante qu'il faut vivre soi-même. Vous m'en donnerez des nouvelles.

Est-ce que moi-même j'ai fait ce voyage, dites-vous?

Non, hélas, non. Ce n'est pas le désir, ni la foi qui manquent, croyez-moi. C'est simplement qu'à mon âge je n'ai plus assez de ressort dans les jarrets pour l'élan initial. Et puis ma santé est un peu fragile. Dans la nuit fraîche, vous savez, une pneumonie est si vite attrapée.

Comment alors puis-je être aussi certain que l'on peut ainsi voler?

Écoutez, j'ai lu la recette du vol autonome dans un vieux livre tout ce qu'il y a de plus sérieux où l'on traite de sujets aussi mystérieux que l'alchimie, les Rose-Croix, la théosophie et la pierre philosophale, pour ne mentionner que ceux-là. Ce livre est si vieux en fait que beaucoup de caractères sont effacés, usés sans doute par les doigts des vieux sages qui l'ont feuilleté. Je ne suis même pas arrivé à déchiffrer le titre du chapitre qui traite du vol autonome. Les seules lettres que j'ai pu reconnaître sont celles-ci:

_es _êv_s _o_s

Peut-être, de votre côté, arriverez-vous à déchiffrer ce mystérieux titre?
Quoiqu'il en soit, je vous souhaite bon voyage**

*Extrait de Épitaphe pour une brouette – Jean Marcoux Éd. Les Quinze 1994
** Si jamais vous, Armelle, décidiez de tenter l’aventure, munissez-vous d’un petit parachute au cas où vous rencontreriez une poche d’air. Je ne voudrais surtout pas être privé de vos carnets de voyage.