mercredi 31 mars 2010

Capsule astronomique No 8

Brève histoire de l’homme et de son univers

Il est bien loin le temps du poète Homère alors que la terre se limitait à une partie de la Méditerranée entourant la Grèce. En ce temps-là, la terre était immobile au centre de l’univers et tous les astres faisaient cercle autour d’elle.
Au surplus, Aristote, 3 siècles A.C., avait décrété une fois pour toutes que les étoiles, tout en tournant elles aussi autour de la terre, étaient irrémédiablement figées dans leur position.

Tout alla bien ainsi pendant 2000 ans. Pas besoin de se casser la tête : les dieux de la mythologie réglaient tout, remplacés, au tournant du 1er siècle P.C. par un Dieu unique qui confirmait le géocentrisme car l’homme, l’enfant chéri de ce Dieu unique, avait été installé, perché sur son astre, au centre de l’univers.

Copernic, au XVIe siècle, jette la première pierre dans cet étang de certitude en plaçant le soleil au centre de l’univers, bientôt suivi par Galilée et bien d’autres.
Peu importe, se disait-on, le système solaire demeure au centre de l’univers. Mais, au XVIIIe siècle, nouvelle pierre dans l’étang : William Herschel découvre la Voie lactée (VL) et ses milliards de soleils. Peu importe, se dit-on encore une fois : on s’empresse de situer le soleil et son cortège de planètes au centre de la VL.

En 1918, nouvelle dégringolade : Harlow Shapley détrône le système solaire du centre de la VL pour le reloger en banlieue. Mais, au moins, la VL, qui abrite le système solaire, est plus que le centre de l’univers : elle constitue tout l’univers. Elle est une grosse goutte d’étoiles dans un vide infini.

Puis, en 1923, coup fatal à la VL : Edwin Hubble découvre d’autres galaxies en dehors de la VL. Pire, ces galaxies, les poches pleines de milliards d’étoiles, se fuient les unes les autres à grande vitesse. Aristote, qui avait figé les étoiles, se retourne dans sa tombe. Graduellement, on découvre des milliards de galaxies et leur fuite éperdue révèle un univers de démesure.

La terre, déchue à tout jamais du centre de l’univers, devient une insignifiante petite planète tournant autour d’une étoile bien ordinaire vivotant en banlieue de sa galaxie, elle-même perdue dans l’immensité de l’univers.

L’homme, qui s’était orgueilleusement planté au centre de l’univers, est piteusement détrôné.

Mais le pauvre humain n’était pas au bout de ses surprises car on lui apprendra bientôt :
- que son univers est né d’une toute petite particule qui a explosé il y a 13 milliards d’années pour ensemencer l’univers d’étoiles et de planètes enfermées dans des galaxies lancées dans leur course folle vers l’infini;
-que son arbre généalogique remonte jusqu’aux étoiles qui ont fabriqué ses atomes;
-que son gîte, la terre, a été formée il y a quelque quatre milliards d’années;
-que la vie y est apparue il y a quelque 3,5 milliards d’années, sans que nous n’ayons la moindre idée du pourquoi de cette survenance;
-que l’homme moderne n’a surgi que depuis environ 200 000 ans, sans que nous n’ayons non plus aucune explication pour l’apparition de la conscience;
- qu’il est donc un nouveau venu dans l’univers et qu’il peut disparaître tout autant que les autres espèces;
-que l’univers qu’il se croyait en mesure de décoder se révèle de plus en plus cachotier et mystérieux car nous ne connassons la nature que de 4% de la matière et de l’énergie qu’il contient, 96% demeurant résolument impénétrable;
-que de ce 4% dont nous connaissons la nature, 3,5% demeure invisible.

Au bout du compte, loin de se décourager devant tous ces mystères, on peut s’ébahir de voir comment l’homme, qui n’a accès qu’à une toute petite fenêtre sur son univers, réussit quand même l’exploit de lever de plus en plus de coins du voile sur ces mystères, particulièrement depuis le XXe siècle.

Il y a sûrement un côté angoissant dans cette découverte d’un univers de démesure qui échappe à notre entendement mais, il y a un côté emballant à nous voir peu à peu sortir de l’obscurité moyenâgeuse dans laquelle nous avons été depuis si longtemps enfermés.

Les nombreuses et excellentes vulgarisations scientifiques que nous offrent aujourd’hui des astrophysiciens comme Hubert Reeves et Trinh Xuan Thuan, pour ne mentionner que ceux-là, nous font redécouvrir toute la joie de connaître qui illuminait notre jeunesse.

Et les images de cet univers auxquelles nous donne accès le télescope Hubble, particulièrement les images des nébuleuses, nous permettent d’entrevoir toutes les beautés et merveilles que recèle notre mystérieux univers.

lundi 15 mars 2010

À la rencontre du 2e type

Donc, une belle nuit, nous voilà prêts à partir vers l’espace infini à la recherche d’une forme de vie intelligente sur une planète. Comme les planètes sont les compagnes de route des étoiles, vaut évidemment mieux voyager de nuit alors que les étoiles sont facilement repérables.

Pour réussir dans notre entreprise, nous ferons, comme vous le savez, de la téléportation, c’est-à-dire que les atomes, qui sont la matière de notre corps, se détachent en quelque sorte du corps pour se reconstituer ailleurs. C’est comme le lapin qui disparaît de la main du magicien pour se retrouver instantanément dans son chapeau. C’est tout simple, paraît-il, car les astronautes de Star Trek le font couramment.

Oui, vous pourrez garder vos vêtements qui se dématérialiseront en même temps que votre corps. Non, pas besoin de vous vêtir chaudement car nous choisirons des planètes juste à bonne distance de leur étoile pour ne pas griller ni nous frigorifier. Y a-t-il de telles planètes? Oui, sûrement, parmi les milliards de milliards de planètes de l’univers. Quelles planètes choisir? Ne vous en faites pas avec ça : la NASA m’a fourni une liste. Comment fait-on pour se rendre à destination? Il n’y a qu’à penser la planète où l’on veut atterrir et, bingo, nous y voilà. Faut-il une cabine de voyage? Non, mais il faut une cabine de dématérialisation à bord de laquelle nous monterons pour les départs. Cette cabine, du reste, se dématérialisera en même temps que nous pour se reconstituer au point d’arrivée. Nous en aurons besoin pour tous nos déplacements. Où trouverons-nous une telle cabine? Rien de plus simple, j’ai un ami astrophysicien qui m’en a bidouillé une, en s’inspirant, m’a-t-il dit, du confessionnal de verre du cardinal Ouellet. Publierons-nous les résultats de cette expérience fantastique? Oui, je tiendrai un journal de bord que je publierai et qui aura sans doute un grand retentissement. Nous nous partagerons les revenus de publication.

…D’autres questions? Non? Vous êtes prêts? Bon, la nuit est belle, alors en voiture…après vous, Mesdames…

Extraits du Voyage au bout de l’univers effectué en mars 2010 par «L’équipe du 1er type»:

…Après moult arrêts sur des planètes toutes plus étranges et plus belles les unes que les autres, c’est en fin de compte dans la constellation du Sagittaire que nous avons trouvé la planète bénie que nous recherchions. En y posant pied, nous avons tout de suite su que c’était la bonne planète. La beauté des lieux était à couper le souffle : de vastes forêts aux arbres de toutes les essences et suffisamment dégagés pour qu’on pût y circuler librement, d’immenses prairies piquées d’une variété infinie de fleurs, des oiseaux aux ailes multicolores, des eaux bleues étincelantes sous un soleil de Méditerranée… Le rêve, je vous dis, le rêve. Notre stupéfaction fut à son comble lorsque nous croisâmes des animaux. Ceux qui, sur terre, étaient considérés comme de dangereux carnivores, n’étaient ici que de paisibles herbivores. Les lions ne mangeaient pas les cerfs qui broutaient à leur côté…ni d’ailleurs les astronautes. (Nous apprîmes plus tard que c’est à ce signe que l’on reconnaît les paradis terrestres).

Nous marchâmes longtemps dans ce paysage enchanteur sans rencontrer âme qui vive. C’est à l’approche d’un merveilleux jardin que nous comprîmes enfin ce qu’était ce pays de rêve. Une grande affiche annonçait :

«Paradis terrestre – 2e essai»

Au milieu du jardin, deux êtres magnifiques nous attendaient, souriants. C’était donc ça : le Tout-Puissant s’était refait la main et ces deux là étaient des Adam et Ève de deuxième génération. Deux êtres d’une grande beauté qui nous accueillirent chaleureusement en nous disant qu’ils avaient été prévenus de notre arrivée et nous attendaient avec joie. Ils étaient très sommairement vêtus comme on pouvait s’y attendre mais les larges feuilles qu’ils avaient choisies pour cacher leur sexe (on les avait prévenus que nous n’étions pas des nudistes) étaient d’un goût exquis.

Ils entreprirent de nous faire visiter les lieux et, devant nos pressantes questions, de nous décrire leur mode de vie. «Une vie de rêve, nous dirent-ils, nous ne manquons de rien. Nous n’avons qu’à tendre la main pour cueillir fruits et légumes, sans même avoir à cultiver» et, joignant le geste à la parole, ils nous guidèrent dans une visite d’un coin de leur immense jardin où abondaient les arbres regorgeant de fruits d’une infinie variété. Mais lorsque nous leur fîmes part de notre étonnement de ne pas voir de pommes, ils nous dirent n’avoir jamais entendu parler de fruits portant ce nom. Leur vie était vraiment sans soucis. Ils passaient leurs journées en longues promenades sur leur merveilleuse planète. Ils n’avaient pas de voisins tapageurs car ils étaient seuls à habiter ici. Pas de problèmes avec les enfants non plus car, nous dirent-ils avec un soupçon de tristesse dans les yeux, ils n’en avaient pas.

À leur tour, ils nous interrogèrent. Nous leur expliquâmes que nous étions des humains de première génération. Que nos lointains ancêtres avaient désobéi aux ordres en croquant une pomme et que tout avait alors mal tourné. Depuis ce temps, nous devions travailler pour gagner notre sel, nous nous engagions parfois dans des guerres barbares et interminables, beaucoup d’entre nous mouraient de faim, nous avions des prisons pour nous protéger des voleurs et des tueurs, bref, ce n’était pas toujours jojo sur notre petite planète. Par contre,nous avions aussi de bons moments. Il y avait du football,des courses automobiles,du ski acrobatique et de la pêche à la ligne. Il y avait aussi les avions, la télé, les ordinateurs, le cinéma,les téléphones portables et la danse en ligne. Puis les carnavals, les pique-niques avec les enfants, les glissades en traîneau et les cadeaux de Noël. Et c’est sans compter les femmes qui adoraient le magasinage, les parades de mode, les enfants qu’elles allaitaient au sein et… à ce moment, ma femme me donna un coup de coude dans les côtes* car elle avait vu une larme perler aux yeux d’Ève.

Nous passâmes un long moment avec eux en dégustant d’excellents nectars et de délicieux fruits.

Quand vint le moment de partir, Adam me tira discrètement par la manche et me glissa à l’oreille : «À ton retour, pourrais-tu nous apporter une ou deux pommes?»


Je ne peux, pour le moment, rien dévoiler de plus sur notre rencontre du 2e type car notre éditeur nous l’interdit.

*Ma femme a cette mauvaise habitude de me donner des coups de coude dans les côtes comme pour reprocher à Adam d'avoir engendré Ève de cette façon.










Vol en rase-mottes*

Vous qui dites bien connaître le fleuve Saint-Laurent, l'avez-vous jamais survolé de nuit? Non! Non! Pas en 747 ou en DC8 à dix mille mètres d'altitude. On ne voit rien à ces hauteurs. Pas en Cessna non plus, c'est trop bruyant. Même pas en ultra léger. C'est bien trop dangereux de se casser la gueule dans ces petits engins. Et qui pourrait bien aller vous récupérer en pleine nuit au milieu du fleuve, hein?

Non, moi je vous parle d'un vol à très basse altitude, silencieux et sûr.
Comment est-ce possible, dites-vous?

C'est là mon secret. Entendons-nous bien toutefois. Je veux bien vous le dévoiler mais il faut absolument que ça reste entre nous. Le jurez-vous sur la tête de votre mère? Vous êtes né de parents inconnus, dites-vous? Allons, ne faites pas le pitre. Jurez-le... Bon, ça va.

Le monde est si méchant, vous savez. Mon secret est si simple qu'on pourrait m'accuser de sorcellerie ou d'avoir vendu mon âme au diable ou, même pire, d'être un membre de la secte des raëliens.

C'est bien parce que vous êtes vraiment un être au-delà du commun, déterminé comme on n'en voit plus et, par-dessus tout, possédant une foi à soulever les montagnes, que je vous dévoilerai ce secret.

Le vol dont il est question ici se pratique sans l'aide d'aucun appareil. Il s'agit simplement d'avoir un vêtement approprié. Une simple tunique, assez ample pour faciliter la portance lorsqu'on ouvre les bras. Rien d'autre, je vous l'assure. Tout est dans la tête.

Il faut évidemment se trouver un juchoir pour le départ, comme l'on fait en deltaplane. Je vous recommande fortement un clocher d'église. D'abord parce que vous en trouverez plusieurs commodément situés le long du fleuve, mais surtout parce que vous trouverez au sommet de ces saints lieux une ambiance propice au recueillement, ingrédient indispensable au vol libre que je vous propose ici. Comme vous le savez, la plupart des églises sont verrouillées de jour comme de nuit. Alors il vous faudra peut-être vous glisser dans le clocher à la faveur de la messe du matin. Apportez-vous un petit lunch, car vous devrez attendre jusqu'à la nuit dans votre perchoir. Des choses légères. Un estomac lourd tient mal l'air.

Choisissez une nuit de pleine lune pour bien jouir du paysage. Recueillez-vous une bonne heure avant le décollage. Imaginez-vous volant dans la nuit étoilée. Ne pensez qu'à ça. Le moment venu, montez sur l'appui du clocher qui donne du côté du fleuve en prenant bien soin de ne pas heurter le battant de la cloche. Ce n'est pas le moment d'alerter tout le village. Dès lors, concentrez-vous bien. Je vous assure que si, à ce moment, vous parvenez à vous visualiser volant dans les airs et vous y croyez, ça marchera. Fléchissez alors les genoux, descendez les bras le long du corps et, d'une solide détente des jarrets, projetez-vous vers le haut à un angle de 45o en lançant les bras vers l'avant d'un mouvement vigoureux pour tirer votre corps vers le haut (vous avez déjà vu faire Superman, n'est-ce pas?). A partir de ce moment, ne laissez jamais, vous m'entendez, JAMAIS, le moindre doute envahir votre esprit.

À une hauteur de deux à trois cents mètres, abaissez les bras à un angle d'environ 30o de l'axe du corps et tournez les mains vers l'avant par une rotation des avant-bras (vous savez comme le fait la statue du Seigneur lorsqu'Il dit "Laissez venir à Moi les petits enfants"). Ce simple mouvement de freinage aura pour effet de vous amener à l'horizontale. Une fois ainsi établi à l'horizontale, détournez les mains. Vous naviguerez alors parallèlement au sol. À ce moment, ouvrez les bras comme pour faire le saut de l'ange. Ceci assurera votre stabilité. Maintenez cette position pendant quelques minutes pour bien sentir la portance de l'air. Tournez alors légèrement les paumes vers l'avant et vous vous verrez aussitôt prendre de l'altitude. Tournez- les vers l'arrière et vous redescendrez. Vos mains jouent le rôle des volets sur les ailes d'un avion. Basculez le corps vers la gauche ou vers la droite et vous vous verrez aussitôt virer du côté où vous avez basculé. A partir de là, je vous laisse découvrir vous-même les merveilles du vol et toutes les pirouettes et cabrioles que vous ne tarderez pas à apprendre.

Laissez-moi toutefois vous suggérer un itinéraire pour cette première envolée au-dessus du fleuve. Partez de Champlain, ce fort joli petit village à quelques kilomètres à l'est du Cap-de-la-Madeleine sur la rive nord du Saint-Laurent et descendez avec le courant. Si vous longez la rive, faites attention aux cargos qui passent si près qu'on les croirait en train de se faire un chemin dans les pelouses derrière les maisons. Je vous laisse découvrir Batiscan, Sainte-Anne-de-la-Pérade et Grondines. Ensuite, ce sera Deschambault et sa place de l'église qui vaut vraiment le coup d'oeil, puis Portneuf avec son quai en eaux profondes de près d'un kilomètre de long. Tiens, là, je vous suggère de partir de la rive et de remonter en rase-mottes tout le long du quai pour soudain déboucher au-dessus des eaux noires du fleuve. Frissons, saisissement et ravissement garantis. Pour finir en beauté, vous remontez en traversant le fleuve pour aller planer au-dessus des falaises de la Pointe du Platon où vous découvrirez le magnifique domaine Joly-De ¬Lotbinière. Dès que vous reviendrez au-dessus du fleuve, basculez bien le corps vers la droite pour prendre l'incroyable coude à 90o que fait le fleuve immédiatement à l'est de Portneuf pour couler vers Cap-Santé et son pittoresque Vieux-Chemin qui débouche sur son imposante église de 1755. Puis ce sera Donnacona et les hautes cheminées de son usine de papier crachant leur fumée blanche dans la nuit noire, Neuville avec son petit village perché sur la colline, Saint-Augustin et son vieux Chemin du Roi qui longe le fleuve, Cap-Rouge et son extraordinaire chemin de fer aérien, les deux ponts de Québec, le Cap Diamant...avez-vous déjà vu le Château Frontenac la nuit du haut des airs? C'est un spectacle, je vous assure, tout un spectacle!

Écoutez, je parle, je parle, mais il est bien inutile de décrire avec des mots le voyage que vous entreprendrez. C'est tout simplement une aventure féerique et exaltante qu'il faut vivre soi-même. Vous m'en donnerez des nouvelles.

Est-ce que moi-même j'ai fait ce voyage, dites-vous?

Non, hélas, non. Ce n'est pas le désir, ni la foi qui manquent, croyez-moi. C'est simplement qu'à mon âge je n'ai plus assez de ressort dans les jarrets pour l'élan initial. Et puis ma santé est un peu fragile. Dans la nuit fraîche, vous savez, une pneumonie est si vite attrapée.

Comment alors puis-je être aussi certain que l'on peut ainsi voler?

Écoutez, j'ai lu la recette du vol autonome dans un vieux livre tout ce qu'il y a de plus sérieux où l'on traite de sujets aussi mystérieux que l'alchimie, les Rose-Croix, la théosophie et la pierre philosophale, pour ne mentionner que ceux-là. Ce livre est si vieux en fait que beaucoup de caractères sont effacés, usés sans doute par les doigts des vieux sages qui l'ont feuilleté. Je ne suis même pas arrivé à déchiffrer le titre du chapitre qui traite du vol autonome. Les seules lettres que j'ai pu reconnaître sont celles-ci:

_es _êv_s _o_s

Peut-être, de votre côté, arriverez-vous à déchiffrer ce mystérieux titre?
Quoiqu'il en soit, je vous souhaite bon voyage**

*Extrait de Épitaphe pour une brouette – Jean Marcoux Éd. Les Quinze 1994
** Si jamais vous, Armelle, décidiez de tenter l’aventure, munissez-vous d’un petit parachute au cas où vous rencontreriez une poche d’air. Je ne voudrais surtout pas être privé de vos carnets de voyage.

Rêve de printemps

Ma chère Jeannette,

Depuis le temps que tu rêves d’une ballade en train, eh bien, c’est décidé : nous allons la faire cette ballade. Et pas n’importe quelle ballade.

J’ai tout planifié : j’ai acheté la locomotive qui tirait autrefois le tortillard de Québec à la Malbaie, payé les droits de passage sur les rails à la compagnie Chemin de fer de Charlevoix, fait vérifier la mécanique de l’engin et refait la peinture. Je lui ai aussi donné un petit air rétro avec son gros oeil de cyclope et sa fausse cheminée (en fait, il est propulsé par un moteur diesel). J’y ai aussi installé deux gros sièges à l’avant et j’ai triché un peu sur l’aménagement de la cabine pour nous offrir une vue panoramique sur le paysage. À côté de ton siège, il y aura, descendant du plafond, une cordelette pour actionner le sifflet. C’est toi qui feras siffler le train pour avertir les chemineaux, les vaches et les orignaux de libérer la voie. J’ai planté deux drapeaux du Québec en V sur l’avant de la loco pour bien afficher nos couleurs. J’ai attelé à l’arrière un wagon toutes commodités qui nous servira de chambre à coucher, vivoir et salle de toilette. J’ai même fait écrire ton nom sur les flancs de l’engin.

Nous tirerons aussi quelques grands wagons-lits pour accueillir tous ces amis qui lisent mon blogue et d’autres wagons toutes commodités. J’ajouterai aussi un wagon-restaurant. Ce sera une équipée du tonnerre.

J’ai engagé une grosse équipe de cheminots pour prolonger les rails tout le long du fleuve jusqu’à Natashquan et construire des ponts pour enjamber les rivières que croisera notre route. J’ai aussi engagé des menuisiers pour bâtir des gares tout au long du parcours. Ce sont des bâtisses d’autrefois, lambrissées de bois, couleur sang de bœuf, avec des toits noirs. Puis, j’ai appris à conduire notre nouvel engin. C’est facile. Je te montrerai.

Tout est prêt. Prépare-toi de ton côté. Apporte de bons vêtements car nous arrêterons ici et là pour marcher sur la grève dans les matins lumineux ou dans les nuits d’aurores boréales. Achète quelques bouteilles pour les pauses de fins d’après-midi. Un peu de bouffe peut-être pour les petits en-cas de la première journée. Pour le reste, ne t’en fais pas : nous nous approvisionnerons dans les petits villages sur notre chemin. Il ne faudra surtout pas oublier les grosses caisses remplies des livres neufs que nous aurons achetés à la librairie Pantoute de la rue Saint-Jean et à la Bouquinerie de la rue Cartier et aussi de plusieurs bouquins usagés découverts à «La bonne occasion» de la rue Saint-Jean (là où il est écrit que «Lire fait pousser les cheveux») et au Colisée du livre.

La première journée, nous arrêterons au Cap Tourmente pour une randonnée dans ses sentiers habités par les oiseaux. Puis, les journées suivantes, nous ferons halte à Petite-Rivière-St-François pour saluer les aubergistes de La Courtepointe qui nous ont déjà si bien accueillis et même leur proposer une ballade sur rail à eux et à leurs invités. Ensuite, à St-Joseph-de-la-Rive où nous monterons à bord des vieilles goélettes échouées sur la rive. De là, si vous le voulez bien, toi et nos voyageurs, nous prendrons le traversier de l’Île-aux-Coudres pour aller voir les vieux moulins et goûter la paix du soir au bassin à hirondelles. Au retour, nous irons marcher longuement sur la grève de Cap-aux-Oies où vivait mon grand-père, tu sais celui qui a raconté la création du monde à notre petit-fils.

Nous ferons une longue pause à St-Irénée où nous assisterons à l’un de ces merveilleux concerts nocturnes du Domaine Forget. Puis, je vous ferai découvrir, à toi et à nos passagers, le quai de Port-au-Persil où nous causerons un long moment avec les peintres du dimanche avant de nous engager sur la berge rocailleuse pour nous rendre, tout à côté, à la petite chapelle protestante où nous nous recueillerons dans la fraîcheur et la blancheur des lieux avant de déposer une petite obole dans le tronc des pauvres en sortant. Si nos voyageurs se sentent les jambes assez solides, nous grimperons alors la côte abrupte qui nous amènera à l’auberge La Petite Madeleine dont la large galerie offre une vue époustouflante sur les montagnes qui plongent dans le fleuve.

Le lendemain matin, nous filerons d’un trait à Baie-Ste-Catherine pour franchir le Saguenay sur le traversier que j’aurai fait construire spécialement dans les chantiers de Lévis pour y charger notre locomotive et ses wagons. En traversant, je vous dirai de regarder vers l’ouest où, juchée dans les hauteurs du Cap Trinité, trône une statue de la Vierge.

Nous stopperons notre engin dans la baie de Tadoussac pour admirer les luxueux yachts et les gros navires d’excursion aux baleines. Les touristes étonnés s’agglutineront autour de nous pour nous questionner sans fin sur notre mystérieux engin. Nous leur permettrons de monter à bord et toi, avec les autres femmes de notre convoi, ferez visiter notre wagon aux femmes ébahies et tu leur raconteras en détail notre aventure tandis que moi, j’expliquerai aux hommes le fonctionnement de la mécanique. Puis, nous arpenterons les rues de cette petite ville colorée. Peut-être aussi irons-nous faire le tour du Sentier de la Pointe qui offre de superbes vues sur la baie de Tadoussac. Le soir venu, nous coucherons dans le grand hôtel, si nos hôtes le veulent bien.

Le lendemain matin, nous roulerons quelques kilomètres vers l’est pour nous rendre au Cap-de-Bon-Désir. Là, jumelles à la main, nous passerons de longues heures, paresseusement étendus sur le rivage rocheux, à épier les baleines qui viendront faire le dos rond à quelques mètres de nous, dans la mer étincelante.

Puis, de là, nos rails sinueux continueront de suivre la route 138 jusqu’aux Escoumins et une multitude de petits villages où, dignes émules du héros de Jacques Poulin, nous donnerons rendez-vous aux villageois pour leur distribuer les livres empilés dans nos grandes caisses.

Le soir, parfois, ils nous inviteront à souper à la maison. Alors, au coin du feu, ils nous raconteront l’histoire d’amour qu’ils entretiennent avec la mer et nous, nous leur parlerons des pays merveilleux qu’ils découvriront dans les livres que nous leur aurons apportés.

D’autres soirs, nous monterons de grands feux de joie sur la grève et nous chanterons, réciterons des poèmes et nous lancerons dans des danses endiablées autour du feu.

À Baie-Comeau, nous ferons halte pour aller visiter le barrage Manic-Deux, là où Georges D’or chantait si bien l’ennui des travailleurs séparés de leurs amours.

Puis, de plus en plus solitaires dans la forêt de la Côte Nord, nous passerons à Godbout où nous irons voir la grande attraction locale : le départ du traversier pour Matane.

À Sept-Îles, nous ferons une petite croisière autour de l’île du Corossol, un sanctuaire protégé où abonde une multitude d’oiseaux marins comme les goélands, les sternes et les cormorans. Puis, nous nous rendrons au belvédère de la pointe de la rivière Moisie où s’entremêlent l’eau douce de la rivière et l’eau salée du golfe Saint-Laurent.

De là, nous nous engagerons dans un pays de plus en plus désertique, sillonné d’une multitude de rivières aux noms qui disent leur éloignement et qui viennent se jeter dans la mer : Rivière Pigou, Rivière aux Graines, Rivière au Tonnerre … Nous serons en pleine Minganie. Passé Havre-St-Pierre, nous aurons le sentiment d’être oubliés dans ce pays désolé et la tristesse tentera de se faire un chemin dans nos âmes.

C’est alors que nous nous mettrons tous à chanter pleine voix pour peupler la forêt. Les loups, les orignaux, les ours et les chevreuils s’approcheront pour voir ces curieux bipèdes chevauchant leur engin monstrueux.

Après Aguanish, je mettrai pleine vapeur (ou faut-il dire pleins gaz car nous roulerons au diesel). Le moteur rugira, les étincelles fuseront sous nos roues, les cadrans menaceront d’exploser, les rails deviendront brûlants et passeront près de fondre, nos wagons à l’arrière, brassés de tous côtés, auront peine à suivre le tempo. Tu tireras sans relâche le sifflet d’alarme pour écarter de la voie les bêtes imprudentes. Nous roulerons à un train d’enfer si bien que nous manquerons la dernière courbe menant à Natashquan et nous décollerons littéralement pour prendre un envol puissant vers le ciel.

Les gens de l’aéroport, tout près de là, se demanderont quel est cet incroyable aéronef qui décolle sans attendre la permission de la tour de contrôle. Rien d’étonnant pourtant, Félix Leclerc l’a fait bien avant nous dans son P’tit train du nord :

Oh! Le train pour Sainte-Adèle
Est rendu dans l’bout d’Mont-Laurier
Personne n’a pu l’arrêter
Paraîtrait qu’on l’a vu filer
Dans l’firmament la nuit passée

Es-tu prête à prendre ce risque …? Oui, dis-tu. Alors, coiffe cette casquette de cheminot qui te donne un air coquin et EN VOITURE! Avec nos passagers à la fois éberlués et ravis.

Tendresse,

Ton mécanicien, chauffeur et amant.