mercredi 22 décembre 2010

Conte de Noël

Un conte de Noël d’antan

J’étais encore jeune homme à cette époque. Disons il y a deux ou trois siècles.

Je passais un sale moment. Ma vie tournait au vinaigre depuis quelque temps. J’avais échoué aux examens du bac, ma petite amie de cœur m’avait quitté pour ce grand insignifiant de Léo, mon employeur avait fermé boutique et m’avait laissé sans le sou, mon père ne cessait de me dire que je m’en allais droit dans le mur et je ne vous parle pas de mon vieux tacot dont les pneus étaient crevés. Pour tout dire, j’étais patraque.

Malgré tout, je n’étais pas du genre à verser dans la dépression et j’étais convaincu que si je pouvais entrevoir une éclaircie dans mon avenir, ne fût-ce qu’un mince rayon, je retrouverais l’élan pour me relancer. J’étais du genre à rebondir à la moindre occasion.

Pas question pour moi de consulter un psychologue et encore moins un psychiatre, de me bourrer de «pep pills» ou autres cochonneries du genre, de me lancer dans l’alcool ou dans les sports extrêmes et encore moins de me suicider. Mais je ne savais pas de quel côté me tourner.

C’est mon ami Louis qui m’a mis sur la piste.

-Mais, mon pauvre vieux, j’ai en plein ce qu’il te faut, m’a-t-il lancé.

-Toi, puis tes suggestions à la con, tu sais où tu peux te les mettre.

Ne vous indignez pas. Louis est mon ami, je vous l’ai dit. C’est ainsi que se parlent les vrais amis, pas vrai ?

Sans même se soucier de ma réplique, Louis m’a tendu une carte d’affaires. «Vas-y, t’as rien à perdre, comme c’est là, t’as l’air d’une vraie cloche !»

Vous voyez bien que Louis est mon ami.

«Madame Jojo» disait la carte d’affaires. «Votre avenir est inscrit là, en toutes lettres dans les lignes de votre main.»

Bien évidemment, j’ai traité l’offre de Louis avec mépris et, sous ses yeux, j’ai jeté la carte à la poubelle. Louis s’est contenté d’un branlement de tête qui voulait tout dire.

Mais, Louis avait à peine fermé la porte que j’ai plongé la main dans le panier à déchet pour récupérer la carte de Madame Jojo.

Et c’est ainsi que, la veille de Noël, je me suis retrouvé dans le cabinet de consultation de madame Jojo. Elle m’avait prévenu que c’était par exception qu’elle me recevait en personne car habituellement ce n’est que par téléphone qu’elle travaillait. Je pense que Louis lui avait touché un mot et lui avait dit, à elle qui était justement en manque, que j’étais une affaire. Si invraisemblable que la chose puisse vous paraître, j’étais beau gosse à cette époque vous savez.

Elle me prit la main et me caressa la paume en silence comme si elle voulait en déchiffrer les lignes.

Cette séance de touche-touche n’était pas désagréable, je vous l’assure, surtout qu’elle était debout devant moi, de l’autre côté de son étroite table de travail, buste penchée sur ma main, me donnant ainsi une vue imprenable sur son décolleté. Sans compter la chevelure noire ramassée en toque, les longs cils, la bouche sévère, la taille svelte découpée dans une robe noire, bref l’image dominatrice de l’ensemble donnait à cette femme des allures de sadomasochiste. En plein mon type quoi ! (À l’époque, entendons-nous).

Je dus donc faire un immense effort pour chasser ces pensées impudiques, bien loin du but de ma consultation. Mais, malgré tous mes efforts, il a bien fallu que je me rende à l’évidence : un canon, cette femme, un vrai canon, je vous dis.

Après quelques minutes de caresses de ma main en silence, elle a levé vers moi un regard envoûtant et sans équivoque et m’a déclaré d’une voix suave et persuasive:

«Vos soucis sont dès maintenant chose du passé. Vous retrouverez à l’instant votre enthousiasme qui se manifestera par un grand débordement de passion».

J’ai failli sauter par-dessus le bureau. Ce ne fut pas nécessaire, le divan était juste à côté.

Depuis ce moment, les prédictions de Jojo se réalisèrent. Je devins plein de débordements de joie, d’enthousiasme, bref de débordements dans tous les sens du terme. Je ne jurais plus que par les lignes de la main. Elle m’en faisait la lecture quotidiennement et, chaque fois, je débordais.

Le père Noël n’arrive pas toujours par la cheminée, vous savez.

Quelques années plus tard, j’ai rencontré Jeannette. Les fées des étoiles non plus n’arrivent pas par les cheminées.

Si votre vie connaît un petit creux, trouvez-vous une bonne lectrice de la main. Jojo est peut-être encore disponible. Jeannette ? Non, pas question. Chasse gardée.