dimanche 15 mai 2011

Un univers menteur comme un arracheur de dents

Touristes de l’Univers – Chapitre 8

Aujourd’hui, ma chère Jeannette s’est jointe à nous (Minouchka, Simon et moi) pour une virée dans Charlevoix. (Dès que je parle à ma femme de ce coin de pays, elle devient frémissante d’envie).

Sacs à dos et bâtons de pèlerins, nous avons fait un bout de chemin sur le sentier des caps menant de Saint-Tite-des-Caps à Petite-Rivière-Saint-François. Nous ne parlions pas beaucoup, ménageant nos forces pour grimper les sentiers vallonnés de la région. Nous avons, bien entendu, fait de petites pauses ici et là pour reprendre notre souffle et, sur l’heure du midi, nous nous sommes arrêtés pour une petite bouffe.

À 17 heures, nous sommes retournés à la voiture pour rouler jusqu’à St-Irénée au bas d’une interminable pente qui nous fait peu à peu découvrir le fleuve dans toute sa splendeur. Nous avons soupé dans un sympathique petit boui-boui au ras du fleuve. Puis, en route pour Port-au-Persil où nous avions réservé des chambres à l’auberge Petite-Madeleine.

Après avoir déposé nos bagages à l’auberge haut juchée dans les montagnes environnantes, nous sommes redescendus au quai de Port-au-Persil. De là, on peut jouir d’une magnifique vue sur le ciel du sud entièrement dégagé. Confortablement installés dans nos transats, nous avons vu le soleil baisser à l’ouest en sirotant un digestif et en causant doucement, en symbiose avec le paysage environnant. À mesure que la noirceur s’installait, nos voix sont devenues des chuchotements, comme si l’on craignait de déranger les étoiles qui, peu à peu, piquaient le ciel.

À un moment donné, n’en pouvant plus, Minouchka, les yeux pleins d’étoiles, a lancé ce cri du cœur : «Dieu que c’est beau !»

J’attendis un moment, hésitant à rompre le charme, puis j’ajoutai :
«Ce ciel étoilé n’est, hélas, qu’une illusion. Il n’existe pas vraiment».
- Comment ça, n’existe pas ? me lança-t-elle aussitôt, en tournant vers moi un regard décontenancé.
- C’est parce que les étoiles ne sont pas toutes sur le même plan.
- …
- Écoute, pour comprendre cet effet d’illusion, il faut d’abord comprendre que
toute source de lumière, dans ce cas-ci les étoiles, émet des rayons qui se propagent à une certaine vitesse.
- Veux-tu dire que, si j’allume une ampoule le rayon lumineux émis par cette ampoule ne viendra pas instantanément frapper la lentille de mon œil ?
- Pas tout-à-fait. Il s’écoulera une infime fraction de seconde entre le moment où tu activeras l’interrupteur et celui où le rayon atteindra ton œil. L’interrupteur n’est pas une baguette magique qui permet à la lumière d’atteindre instantanément les confins de l’univers.
- Es-tu en train de me dire que la lumière voyage. Tout aussi bien que la balle tirée d’un fusil ou qu’une automobile de course et qu’elle est soumise aux lois de la vitesse comme n’importe quel objet ?
- Eh bien oui. Mais elle voyage si vite qu’elle semble passer comme par magie d’un endroit à un autre.
- Vite comment ?
- Trois cent mille kilomètres à la seconde.
- Quoi ?
- Plus de sept fois le tour de la terre en une seconde.
- Ouais, eh bien, lança Simon, attends que je conte ça à mon cousin Charles qui se vante de rouler à trois cent kilomètres à l’heure sur l’autoroute avec son bolide équipé d’un moteur turbo.

Jeannette souriait, elle qui était déjà si familière avec ces notions de vitesse de la lumière.

- Je veux bien, se résigna Minouchka, mais qu’est-ce que tout ça vient faire dans ce magnifique ciel étoilé que tu dis n’être qu’une illusion ?
- Bon, prenons par exemple le soleil flamboyant que nous avons vu tantôt glisser sous la ligne d’horizon. Il était exactement 8h12 à ma montre lorsque le dernier petit rayon est disparu.
- Oui, et puis ?
- Bien, en fait, le soleil était déjà couché depuis 8h04 mais nous l’avons vu briller jusqu’à 8h12 parce que son dernier rayon lumineux a pris huit minutes à franchir les quelque cent cinquante millions de kilomètres pour nous parvenir.
- Et puis ?
- Il faut dès lors comprendre qu’on ne calcule plus les distances entre les astres en termes de kilomètres mais en termes d’années-lumière, c’est-à-dire en prenant pour base de calcul la distance que franchit la lumière en une année, soit environ 9,5 milliards de kms.
- Et puis ?
- Et puis, voilà maintenant pourquoi je te dis que ce magnifique ciel étoilé n’est qu’une illusion : c’est parce que les étoiles ne sont pas toutes sur le même plan.
L’étoile la plus proche de nous, après le soleil, est Proxima du Centaure à 4,4 années-lumière (AL). L’étoile polaire est à environ 430 Al, Antares à 600 AL, Canis major (le Grand Chien) à 5 000 AL, V354 Cephei à 9 000 AL et ainsi de suite, de sorte que lorsque, par exemple, on regarde l’étoile polaire, on la voit non pas telle qu’elle est ce soir mais telle qu’elle était il y a environ 430 ans et Canis major telle qu’elle était il y a environ 5 000 ans. Il peut même arriver que certaines de ces étoiles soient mortes aujourd’hui, même si nous continuons à recevoir leur lumière et c’est ce qui me fait dire que l’image que nous envoie le ciel étoilé de ce soir ne correspond pas à la réalité : c’est une illusion. Le ciel, en fin de compte, est un fieffé menteur.
Minoucka resta songeuse un long moment. Puis, dépitée, elle me lança cette phrase assassine :
- Lui au moins, il sait être silencieux.
Piqué au vif, je lui répliquai aussitôt :
- Illusion, ma chère Minouchka, les étoiles sont de hauts fourneaux qui grondent furieusement sans cesse.
Et j’ajoutai, un peu malicieusement :
- D’ailleurs, si tu fais silence, tu entendras ce lointain grondement qui nous vient des confins du ciel. Écoute, écoute bien.
Un instant perplexe, elle pouffa de rire et me répliqua à son tour :
- Mais, mon pauvre vieux, tu ne vois pas : c’est Simon qui ronfle comme une cheminée.
Nos rires bruyants éveillèrent Simon qui, en se redressant, la tête encore embuée de sommeil, s’écria : «Quoi ? Quoi ?».
Nous redoublâmes de rire.
Peu à peu, alors que le ciel noircissait de plus en plus et que se révélaient de nouvelles étoiles, chacun s’enferma dans son silence et dans ses rêves.

dimanche 8 mai 2011

Escale poétique



Concert nocturne


Entre chien et loup
sur un nénuphar
trois grenouilles chantonnent


Dix lucioles
éclairent la scène
de leur sarabande


Sur son croissant de lune
Pierrot intrigué
décroise les jambes

Tous deux côte à côte
ta main dans mon cou
fait frémir mes orteils



Extase


Elle s'aéroplane
lourdement
sur mon tarmac


Se balise
voluptueusement
sur ma bouée


J'irrigue ses larges terres
et les rend fertiles
Bénissons le Seigneur



La balle perdue


Le trou minuscule
de la balle perdue
dans le front étonné



Souvenirs


Le sifflement du train
dans le matin gris


le ruisseau turbulent
de la fonte des neiges


font surgir en moi
des souvenirs fugaces


de moments heureux
que je n'ai pas vécus



Brunante


Mes bottes cloutées
martèlent le pavé
en route pour l'horizon


Un arbre dénudé
tend vers le ciel
ses bras implorants


Seul dans ma nuit
en quête d'espérance


Sous la neige


Nuit de froid silence
les clous de ma toiture
pètent sec


Matin de froid polaire
la neige sous le pas
se lamente en couinant


Lendemain de tempête
lampadaires étonnés
sous leurs chapeaux de neige




Nuit d'été


La clameur des étoiles
fait vibrer
ma pupille

Mille grillons
font grincer leurs crincrins
monotones


Et toi sur mes genoux
tu te colles
à mon cou



Deux enfants


Deux enfants sur la rive
arrêtent de jouer
pour regarder passer
un vieux billot sur l'eau


Aube


Aux aurores pieds nus
et foulant la rosée
elle se rend au fleuve

Un cargo sous ses yeux
déchire l'onde
de son étrave


Le soleil glorieux
dilate ses yeux
elle vivra mille ans