lundi 15 mars 2010

À la rencontre du 2e type

Donc, une belle nuit, nous voilà prêts à partir vers l’espace infini à la recherche d’une forme de vie intelligente sur une planète. Comme les planètes sont les compagnes de route des étoiles, vaut évidemment mieux voyager de nuit alors que les étoiles sont facilement repérables.

Pour réussir dans notre entreprise, nous ferons, comme vous le savez, de la téléportation, c’est-à-dire que les atomes, qui sont la matière de notre corps, se détachent en quelque sorte du corps pour se reconstituer ailleurs. C’est comme le lapin qui disparaît de la main du magicien pour se retrouver instantanément dans son chapeau. C’est tout simple, paraît-il, car les astronautes de Star Trek le font couramment.

Oui, vous pourrez garder vos vêtements qui se dématérialiseront en même temps que votre corps. Non, pas besoin de vous vêtir chaudement car nous choisirons des planètes juste à bonne distance de leur étoile pour ne pas griller ni nous frigorifier. Y a-t-il de telles planètes? Oui, sûrement, parmi les milliards de milliards de planètes de l’univers. Quelles planètes choisir? Ne vous en faites pas avec ça : la NASA m’a fourni une liste. Comment fait-on pour se rendre à destination? Il n’y a qu’à penser la planète où l’on veut atterrir et, bingo, nous y voilà. Faut-il une cabine de voyage? Non, mais il faut une cabine de dématérialisation à bord de laquelle nous monterons pour les départs. Cette cabine, du reste, se dématérialisera en même temps que nous pour se reconstituer au point d’arrivée. Nous en aurons besoin pour tous nos déplacements. Où trouverons-nous une telle cabine? Rien de plus simple, j’ai un ami astrophysicien qui m’en a bidouillé une, en s’inspirant, m’a-t-il dit, du confessionnal de verre du cardinal Ouellet. Publierons-nous les résultats de cette expérience fantastique? Oui, je tiendrai un journal de bord que je publierai et qui aura sans doute un grand retentissement. Nous nous partagerons les revenus de publication.

…D’autres questions? Non? Vous êtes prêts? Bon, la nuit est belle, alors en voiture…après vous, Mesdames…

Extraits du Voyage au bout de l’univers effectué en mars 2010 par «L’équipe du 1er type»:

…Après moult arrêts sur des planètes toutes plus étranges et plus belles les unes que les autres, c’est en fin de compte dans la constellation du Sagittaire que nous avons trouvé la planète bénie que nous recherchions. En y posant pied, nous avons tout de suite su que c’était la bonne planète. La beauté des lieux était à couper le souffle : de vastes forêts aux arbres de toutes les essences et suffisamment dégagés pour qu’on pût y circuler librement, d’immenses prairies piquées d’une variété infinie de fleurs, des oiseaux aux ailes multicolores, des eaux bleues étincelantes sous un soleil de Méditerranée… Le rêve, je vous dis, le rêve. Notre stupéfaction fut à son comble lorsque nous croisâmes des animaux. Ceux qui, sur terre, étaient considérés comme de dangereux carnivores, n’étaient ici que de paisibles herbivores. Les lions ne mangeaient pas les cerfs qui broutaient à leur côté…ni d’ailleurs les astronautes. (Nous apprîmes plus tard que c’est à ce signe que l’on reconnaît les paradis terrestres).

Nous marchâmes longtemps dans ce paysage enchanteur sans rencontrer âme qui vive. C’est à l’approche d’un merveilleux jardin que nous comprîmes enfin ce qu’était ce pays de rêve. Une grande affiche annonçait :

«Paradis terrestre – 2e essai»

Au milieu du jardin, deux êtres magnifiques nous attendaient, souriants. C’était donc ça : le Tout-Puissant s’était refait la main et ces deux là étaient des Adam et Ève de deuxième génération. Deux êtres d’une grande beauté qui nous accueillirent chaleureusement en nous disant qu’ils avaient été prévenus de notre arrivée et nous attendaient avec joie. Ils étaient très sommairement vêtus comme on pouvait s’y attendre mais les larges feuilles qu’ils avaient choisies pour cacher leur sexe (on les avait prévenus que nous n’étions pas des nudistes) étaient d’un goût exquis.

Ils entreprirent de nous faire visiter les lieux et, devant nos pressantes questions, de nous décrire leur mode de vie. «Une vie de rêve, nous dirent-ils, nous ne manquons de rien. Nous n’avons qu’à tendre la main pour cueillir fruits et légumes, sans même avoir à cultiver» et, joignant le geste à la parole, ils nous guidèrent dans une visite d’un coin de leur immense jardin où abondaient les arbres regorgeant de fruits d’une infinie variété. Mais lorsque nous leur fîmes part de notre étonnement de ne pas voir de pommes, ils nous dirent n’avoir jamais entendu parler de fruits portant ce nom. Leur vie était vraiment sans soucis. Ils passaient leurs journées en longues promenades sur leur merveilleuse planète. Ils n’avaient pas de voisins tapageurs car ils étaient seuls à habiter ici. Pas de problèmes avec les enfants non plus car, nous dirent-ils avec un soupçon de tristesse dans les yeux, ils n’en avaient pas.

À leur tour, ils nous interrogèrent. Nous leur expliquâmes que nous étions des humains de première génération. Que nos lointains ancêtres avaient désobéi aux ordres en croquant une pomme et que tout avait alors mal tourné. Depuis ce temps, nous devions travailler pour gagner notre sel, nous nous engagions parfois dans des guerres barbares et interminables, beaucoup d’entre nous mouraient de faim, nous avions des prisons pour nous protéger des voleurs et des tueurs, bref, ce n’était pas toujours jojo sur notre petite planète. Par contre,nous avions aussi de bons moments. Il y avait du football,des courses automobiles,du ski acrobatique et de la pêche à la ligne. Il y avait aussi les avions, la télé, les ordinateurs, le cinéma,les téléphones portables et la danse en ligne. Puis les carnavals, les pique-niques avec les enfants, les glissades en traîneau et les cadeaux de Noël. Et c’est sans compter les femmes qui adoraient le magasinage, les parades de mode, les enfants qu’elles allaitaient au sein et… à ce moment, ma femme me donna un coup de coude dans les côtes* car elle avait vu une larme perler aux yeux d’Ève.

Nous passâmes un long moment avec eux en dégustant d’excellents nectars et de délicieux fruits.

Quand vint le moment de partir, Adam me tira discrètement par la manche et me glissa à l’oreille : «À ton retour, pourrais-tu nous apporter une ou deux pommes?»


Je ne peux, pour le moment, rien dévoiler de plus sur notre rencontre du 2e type car notre éditeur nous l’interdit.

*Ma femme a cette mauvaise habitude de me donner des coups de coude dans les côtes comme pour reprocher à Adam d'avoir engendré Ève de cette façon.










1 commentaire:

ARMELLE a dit…

Irrésistible ce récit qui nous glisse à l'oreille ce que nous n'osions même pas envisager : que le paradis doit être, au bout du compte, assez ennuyeux.Il n'y a, pour s'en persuader, qu'à se rappeler la petite larme d'Eve, lorsque vous évoquiez le Noël des enfants et les fêtes de famille, et le soupir d'Adam qui aurait cédé aisément, je suppose,si vous l'aviez invité à faire un petit tour sur terre en votre compagnie, ne serait-ce que pour se rendre aux Folies-Bergères ou au cinéma. Et puis le soleil tous les jours. imaginez ! Jamais un flocon de neige, pas une seule feuille d'or pour enluminer l'automne, pas la moindre averse pour s'enlacer sous un parapluie. Bigre ! Dieu n'a pas été si cruel en nous priant d'aller faire tous seuls, comme des grands, nos expériences humaines sur la planète aux mille paysages et aux 4 saisons...