samedi 31 juillet 2010

Le visiteur nocturne

L’autre nuit, Dieu est venu me rendre visite. Pour une petite jasette. Il fait ça de temps en temps. On dirait que depuis que je suis plus vieux, Il me fait davantage confiance. Déjà que nous portons la barbe tous les deux. Mine de rien ça rapproche ces choses-là, vous savez. Même qu’Il me tutoie. Ce que je ne fais évidemment pas malgré la familiarité établie entre nous.
Mais, cette nuit-là, Il était rouge de colère. Il avait lu mon blogue et toutes ces faussetés que je répands sur Son compte et sur les religions. Il m’a traité de tous les mots, m’a conseillé de relire la Bible et m’a même menacé d’une fatwa pour bien me faire sentir qu’Il était le Dieu de tous les hommes. Mais Il a scruté mon cerveau et a bien vu que c’était dans les écrits d’Hubert Reeves, de Trinh Xuan Thuan, de Spinoza, de Stephen Hawking, d’Einstein, de ce mauvais plaisantin de Pierre Yves Morvan et même de Pierre Teilhard de Chardin et d’un tas d’autres savants que j’avais puisé toutes mes déviations.
À ce point de Ses vitupérations, j’ai penché la tête et n’ai pas pu empêcher une larme de couler sur mes joues.
Alors, Il a arrêté tout net de parler et Sa colère est tombée. Le Bon Dieu est miséricordieux, ça on le sait. Mais j’ai senti que Son alternance de colère et de miséricorde avait des racines plus profondes.
J’ai relevé la tête et constaté qu’Il affichait soudain une mine sombre. Respectueusement, j’ai levé vers Lui un sourcil interrogateur. Il a mis un moment à me répondre.
«Écoute, m’a-t-Il dit, J’ai lu ce que tu appelles tes ancrages.
J’ai rentré la tête dans les épaules, m’attendant à une autre bordée d’injures et de menaces.
«Non, non, m’a-t-Il dit, ne crains rien. C’est que je cherche les miens, mes propres ancrages je veux dire.* Quand je regarde tout ce que les hommes disent ou écrivent de moi, ça devient très mélangeant, tu sais. Tantôt, je suis un personnage tout-puissant qui règne sur les cieux et sur la terre, tantôt un être de bonté qui ne permet pas qu’un seul cheveu tombe de la tête des hommes sans que je ne le permette,** tantôt un Dieu vengeur comme celui de Sodome et Gomorrhe, tantôt un tyran comme celui qui a chassé Adam et Ève du paradis pour une peccadille, tantôt un père impitoyable qui envoie son fils à la crucifixion, tantôt un dieu éthéré dont on dit «qu’il est celui qui est», tantôt… enfin je ne m’y retrouve plus, moi. Certains vont même jusqu’à dire que je suis un Dieu immanent, un Dieu intriqué dans la nature, que le cosmos et moi ne faisons qu’un. Freud m’a dit - eh bien oui, il est dans mon paradis malgré tout, ce crétin - alors il m’a dit que j’étais atteint du syndrome de personnalités multiples. Et maintenant, avec cette histoire de Dieu immanent, voilà que je ne suis même plus une personne. Je n’aurais pas plusieurs personnalités, je n’en aurais même plus une seule. C’est très difficile d’être Dieu tu sais», a-t-Il terminé, l’air déprimé.
Qu’est-ce que je pouvais répondre à ça, hein? Je ne pouvais quand même pas lui conseiller de consulter un autre psychologue ou Saint Augustin ou Thomas d’Aquin ou quelque autre sommité assise là-haut à ses côtés. Ça l’aurait sans doute mélangé encore plus.
Alors, je n’ai rien dit du tout et, après un long moment de silence, Il m’a mis sur l’épaule une main compatissante puis Il s’est penché vers moi et, après avoir regardé à gauche et à droite pour être bien sûr qu’on ne L’entendait pas, Il m’a murmuré à l’oreille : «Écoute, j’ai lu moi aussi ces écrits impies dont tu parles dans ton blogue. J’ai même lu cette récente publication «Heureux sans Dieu» et, depuis, je n’en dors plus parce que je ne sais plus si j’existe vraiment».
Sur ces mots de consolation, il m’a fait un clin d’œil et m’a donné une bourrade affectueuse. Puis il s’est retourné et est parti.
Je suis sûr que vous conviendrez maintenant avec moi que le Bon Dieu est vraiment un bon diable.

* Le lecteur aura remarqué que j’emploie la majuscule lorsque je parle de Dieu. Mais, de Son côté, Il n’emploie pas la majuscule lorsqu’Il parle de Lui-même. Les conversations avec Dieu requièrent énormément de subtilités.
** À ce point, j’ai failli dire qu’Il avait manqué le génocide du Rwanda où les cheveux restaient sur les têtes mais que, par contre, c’étaient les têtes qui tombaient.

1 commentaire:

ARMELLE a dit…

Je raffole de ce texte plein de malice, de drôlerie et aussi d'une certaine tendresse envers Dieu. S'Il n'existait pas, Jean, vous l'auriez inventé. Imaginez combien on s'ennuierait sur la terre sans Lui. Il a inspiré les 2/3 de la philosophie, de la littérature, de la musique et de la peinture, Lui et Son Fils, j'entends bien. Et Le Saint-Esprit, bien que très discret et agissant dans l'ombre - comme il se doit pour une éminence grise - n'est pas en reste.
D'autre part, j'ai terminé hier soir votre "Epitaphe pour une brouette". En trois soirs, sans sauter une ligne, j'avais dévoré ces nouvelles, légères, facétieuses, parfois rocambolesques, souvent mélancoliques, un brin coquines pour quelques-unes, admirablement écrites et salutairement saines, vivantes et attendrissantes. Un moment délicieux partagé avec vous. Merci Jean de nous donner ces moments d'incomparable fraîcheur.