Il était une fois une bonne mère de famille comme il s’en faisait autrefois (et comme il en reste d’ailleurs encore plusieurs aujourd’hui) et qui décida un beau jour de fabriquer une fournée de galettes à l’avoine pour sa marmaille. Elle sortit alors de ses armoires de la farine, de la poudre à pâte, des flocons d’avoine, du sucre, de la cassonade, de la margarine, un œuf, une pincée de sel et une petite fiole de vanille.
Vous savez, comme moi, que chacun de ces ingrédients, pris séparément, n’a pas très bon goût. Une tasse de farine, vous savez, ou une cuillerée de margarine ne remportera jamais de grands prix aux concours culinaires.
Mais notre cuisinière mêla le tout qui devint une pâte informe qui, pour l’instant, n’annonçait rien de bon. Mais elle étendit cette pâte en petits paquets sur une plaque qu’elle mit au four. Alors, ô miracle, les petits paquets de grisaille se mirent à gonfler et devinrent de jolies galettes.
La marmaille, comme on s’en doute, se précipita sur les galettes et les engouffra. Et alors, ô nouveau miracle, les estomacs des petits pétrirent les galettes et, par maints tours de magie, en convertirent plusieurs en cellules vivantes qui circulèrent dans le corps des petits et s’y intégrèrent et, le croirez-vous, la farine, les œufs, la margarine et tous les ingrédients que leur mère avait mis dans ses galettes devinrent des petits Maxence, Joséphine, Amélie et Toto.
Si vous interrogez les savants, ils vous diront que les éléments primitifs du début (farine, etc.), une fois pétris dans le corps des petits, sont devenus des cellules vivantes. Ils sont donc devenus beaucoup plus complexes qu’ils ne l’étaient au départ.
Eh bien, c’est là, à petite échelle, toute l’histoire de l’univers.
Lorsqu’il est né, notre univers n’était qu’une soupe informe et extrêmement chaude, un mélange sans bon sens de particules infiniment petites, incroyablement tassées les unes sur les autres et se chamaillant à qui mieux-mieux. La désorganisation totale, un vrai bordel quoi !
Et il arriva ce qui devait arriver : la soupe, devenue trop chaude, fit exploser le couvercle de la marmite et se répandit partout. C’est ce qu’on appela le gigantesque flash du Big Bang.
Mais c’était encore la grande confusion. Il fallut des millions d’années avant qu’un début d’ordre naisse de ce chaos. Ce furent d’abord de grands nuages de ces particules indisciplinées qui commencèrent à se rassembler en vastes ensembles que, plus tard, les savants appelèrent nébuleuses. Les particules prirent goût à ces rassemblements et se tassèrent les unes sur les autres pour fabriquer de nouvelles particules, essentiellement de l’hydrogène, et de l’hélium comme, encore une fois, les savants les appelèrent plus tard. À force de se tasser, ces particules se réchauffèrent tellement qu’elles finirent par prendre feu : les étoiles étaient nées ! Rien de moins ! L’Univers devint lumineux.
Mais les étoiles, toutes étoiles qu’elles sont, demeurent des créatures plutôt primitives : de vastes brasiers qui consomment à chaque instant des tonnes d’hydrogène. Mais rendons leur quand même ce qui leur revient : elles entreprirent de fabriquer des noyaux de multiples nouveaux éléments.
Les plus grosses de ces étoiles, étouffant sous leur propre poids et n’en pouvant plus, éclatèrent alors dans de formidables explosions, projetant aux quatre coins de l’univers les noyaux qu’elles avaient fabriqués dans leur cœur. Ces noyaux ne périrent pas pour autant. Ils survécurent et se firent copain-copain avec les multiples autres petites particules qui gigotaient dans la soupe initiale que le Big Bang avait disséminées et que, plus tard encore une fois, on baptisa de noms affectueux comme électrons, photons, quarks, bosons, mésons, etc. Cette association produisit, devinez quoi : des atomes de toute sortes! Des atomes de fer, des atomes de cuivre, des atomes de zinc, etc., etc.
Les atomes, on le sait, sont les briques de la matière. Mais, comme on le sait aussi, les atomes ont pris goût à l’invention et se sont regroupés en molécules qui se sont associées de mille et une façons pour arriver à fabriquer tous les trucs que l’on trouve dans la nature : les nuages qui flottent au-dessus des océans aussi bien que les masses d’eau qui remplissent ces océans, la pierraille agrippée au Mont Blanc aussi bien que l’air qui se raréfie quand on escalade ce Mont, le feu qui gronde au sein des volcans aussi bien que les plaques tectoniques dont le choc secoue notre planète et toute la panoplie des choses que l’on connaît.
Ces ingénieux petits atomes se sont même mis à s’assembler en grosses molécules puis en cellules qui, par des opérations magiques, ont créé la vie dans les pissenlits qui enjolivent votre gazon (et que vous vous obstinez à saboter), dans la mésange qui vient picorer dans votre mangeoire d’oiseaux, dans la grenouille qui paresse dans son étang, dans les saumons dont les grizzlys guettent le passage et toutes ces «bibittes» qui sillonnent notre planète.
Mais la nature avait encore bien des trucs dans son sac à magie. Elle s’est retroussée les manches et a entrepris de fabriquer un être à deux pattes, plutôt hirsute au début, mais qu’elle a longuement fignolé pour finalement lui implanter dans le crâne une conscience. Cette chose à deux pattes avec une petite jugeote plantée sous sa chevelure, eh bien c’est vous et c’est moi. Le chef d’œuvre, dit-on de la nature (du moins vous, moi c’est pas sûr). Le seul être dont on dit qu’il peut prendre conscience de l’univers qu’il habite et le seul aussi qui se rend compte peu à peu qu’il fait partie de cet univers.
Et voilà que «nous comprenons un peu mieux comment l’organisation et la complexité ont pu émerger du chaos primordial» (dixit Hubert Reeves) et «comment de savoureuses galettes ont pu émerger d’un chaos immangeable de farine et de margarine» (dixit bibi).
Si, un jour, j’entreprends d’écrire mon arbre généalogique, je remonterai bien au-delà de mon arrière-arrière-grand-père. Je remonterai toute la lignée des primates, des reptiles, des poissons, des cellules, des molécules, des atomes, des noyaux et de toutes ces infiniment petites particules qui gigotaient dans l’univers d’avant le Big Bang. J’en parlerai au curé de ma paroisse mais je ne pense pas qu’il retrouve tout ce beau monde dans ses grands registres. Ce n’est même pas certain qu’il retrouve Adam et Ève en cours de route.
Alors, en attendant, moi je dis Chapeau ! Chapeau à cette merveilleuse nature qui, de tâtonnements en tâtonnements, à partir d’une informe soupe primitive, a su patiemment bâtir, après des milliards d’années, une chose aussi complexe que le cerveau humain.
Et c’est grâce à ce merveilleux outil que leur mère porte sous sa magnifique chevelure que les petits Maxence, Joséphine, Amélie et Toto mangent aujourd’hui les délicieuses galettes cuisinées par leur mère.
C’est là, je vous le répète, toute l’histoire de l’univers.
lundi 3 mai 2010
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