dimanche 6 mars 2011

D'Adam à Darwin

Touristes de l’Univers - Chapitre 3

N’allez pas croire que, malgré sa déconfiture qui l’a fait dégringoler jusqu’à la dernière et unique marche de son échelle, notre petit homme allait abandonner la partie. Nombril de l’Univers ou pas, il demeurait l’enfant chéri du Dieu qui, du geste tout-puissant de sa main, l’avait créé tout rond, comme le représente si bien le peintre Raphaël, puis l’avait nommé Adam, et l’avait installé au milieu d’un paradis époustouflant de beauté.



Et, pour ne pas laisser son petit bonhomme tout seul, Dieu avait plongé sa main magique dans le torse musclé d’Adam pour lui en retirer une côte et, subito presto, transformer cette côte en une magnifique créature qu’il avait baptisée Ève. Beauté, douceur, charme, amour, cette femme avait tous les attributs dont un homme puisse rêver. Tous, je vous dis, absolument tous. Aucune faille…sauf une toute petite faiblesse : elle aimait les pommes ! Nous n’allons quand même pas ergoter là-dessus ? Qui n’aime pas les pommes, hein ? Sauf que le tout-puissant créateur leur avait dit d’un air sévère, en montrant les pommiers qui ornaient le magnifique paradis : «Pas touche, les enfants, pas touche !» Pourquoi ? Allez donc savoir. Peut-être pour bien leur faire voir que c’était Lui, le Boss ? Les boss sont comme ça, vous le savez bien : ils aiment faire sentir leur autorité, ne serait-ce que sur des vétilles.

Mais Ève avait une nature taquine et aimait bien se faire courir après par son homme. Alors, un beau jour d’automne, alors que tous les pommiers regorgeaient de fruits, elle décrocha une pomme et, jetant un coup d’œil provocateur à Adam, elle partit en courant dans le verger. «Ah bien, ma p’tite vlimeuse»[i], cria Adam en sautant sur ses jambes. Ils coururent comme ça un bon moment au milieu des pommiers jusqu’à ce qu’Adam l’attrape par sa petite culotte et qu’ils tourneboulent tous deux jusqu’à se retrouver dans les bras l’un de l’autre. Ève avait déjà la moitié de la pomme entre les dents et, en riant, Adam enfourna l’autre moitié dans sa bouche puis, d’un même geste rieur, ils croquèrent la pomme…CATASTROPHE ! MALHEUR DE MALHEUR ! Le Vieux, là-haut n’entendait pas à rire. Vous connaissez la suite, n’est-ce pas, de cet innocent petit jeu amoureux.

Ne cherchez pas plus loin, c’est ainsi que commença la pénible odyssée de l’homme sur la Terre.

Malgré la dégringolade que lui firent subir les Copernic, Galilée, Herschel, Shapley, Hubble et Cie qui le délogèrent, barreau par barreau de son échelle, et malgré la sévère punition de son créateur, notre petit bonhomme resta bien assis sur le dernier échelon, sûr de son fait : il demeurait, parmi toutes les créatures de l’Univers, l’enfant chéri du Dieu qui l’avait créé tout rond et planté sur la Terre.

Quand, dites-vous ? Bien, il n’y a pas si longtemps : l’archevêque James Ussher affirmait, en 1654, que la Création avait eu lieu au début de la nuit précédant le 23 octobre de l'an 4004 av. J.-C.,[ii] tout cela basé sur un calcul rigoureux du nombre de générations et de l’âge des personnages des Saintes Écritures ! Tout en tenant compte aussi, bien évidemment, des cinq jours qu’il fallut pour mettre en place l’Univers avant d’y installer l’homme le sixième jour. Alors, qu’on ne vienne pas nous casser les pieds avec ces théories qui font remonter la création de l’Univers à quelques milliards d’années.

Mais ne voilà-t-il pas que, en 1859, ce petit drôle de Charles Darwin vient brouiller les cartes avec sa théorie de l’évolution : l’homme ne serait en fin de compte que l’aboutissement d’une longue évolution de la vie commencée avec de petites molécules il y a plus de trois milliards d’années. Que l’enfant chéri créé tout rond par le Père éternel ne serait en fait que l’aboutissement d’une longue chaîne buissonnante de transformations d’êtres monstrueux qu’on a baptisés tour à tour de noms affectueux comme Proconsul, Pithécanthrope, Australopithèque, Homme de Neandertal, Homme de Cro-Magnon, etc.,etc. On poussa même l’insulte jusqu’à dire que l’homme ne serait qu’un quelconque cousin éloigné du singe.[iii]

Alors notre petit homme, rouge de colère, s’agrippant de toute force au dernier barreau de son échelle, s’écria :

-Non, non et non ! Votre Darwin est un sale menteur. L’homme demeure à jamais l’enfant chéri de Dieu le Père qui, je vous le répète, l’a créé tout rond et d’un seul geste.
- Mais, s’Il l’aime tant, pourquoi alors l’a-t-il chassé de son paradis ?
- C’est parce qu’il avait commis le péché originel et lui avait ainsi désobéi, faut-il que je vous le répète cent fois ?
- Mais pourquoi faut-il que nous portions encore le fardeau de cet insignifiant petit péché après tous ces innombrables millénaires ?
- Parce que le péché originel est une maladie héréditaire.
- Héréditaire ? Comment ça ?
- Parce qu’elle se transmet de génération en génération par la copulation. On ne peut pas y échapper. C’est Saint Augustin lui-même qui l’a dit.

Que peut-on répondre à ça, dites-moi ?

Y a-t-il vraiment moyen de faire comprendre à notre petit homme que tous les scientifiques sérieux d’aujourd’hui admettent la théorie de l’évolution avancée par Charles Darwin ?

Que l’homme moderne, doté d’une conscience, l’homo sapiens, comme l’appellent ces scientifiques, n’est pas seulement l’aboutissement d’un quelconque primate, mais qu’il est le produit d’une longue chaîne de montage qui a connu bien des ratés et de multiples culs de sac ?

Que cette longue chaîne a d’abord commencé par ce qu’on croit être l’apparition de molécules organiques simples qui sont les briques de base du vivant ? De là, une longue évolution, passant par de multiples phases, aurait produit des animalcules, puis une végétation qui aurait envahi la terre ?

Que tout ce foisonnement de vie aurait abouti, par le jeu de l’évolution, à des multitudes d’animaux de plus en plus performants…jusqu’à l’apparition, en bout de piste, de l’homo sapiens, c’est-à-dire vous et moi ?

Que, si l’on remonte encore plus loin dans la longue chaîne de l’évolution, on débouche sur les étoiles où se sont formés la plupart des atomes qui constituent toute la matière connue, y compris, encore une fois, vous et moi ?
Que nous sommes en fin de compte, «poussières d’étoiles», comme le dit si bien Hubert Reeves ?
N’est-ce pas merveilleux ? N’est-ce pas encore plus merveilleux et plus crédible, vu le support apporté par nos grands savants à la théorie de l’évolution, que la jolie fable racontée dans la Bible ?

N’es-tu pas émerveillé à la pensée que toi, petit bonhomme, et tous les humains de la Terre sont des descendants des magnifiques étoiles qui illuminent nos nuits ?

Après être resté songeur un long moment, le petit bonhomme s’est soulevé du dernier échelon auquel il s’accrochait désespérément depuis si longtemps et, d’un vigoureux coup de pied, a complètement démoli ce qui restait de sa pauvre échelle. Puis, il a levé vers moi un regard interrogateur.
D’un simple petit signe de tête et d’un clignement des yeux, je lui ai promis que, la prochaine fois, je lui raconterais la merveilleuse et véridique histoire de l’apparition de l’homme sur la Terre.


[i] Coquine, en langage québécois (preuve que le paradis était au Québec… et le demeure).
[ii] Certains prétendent que ce fut plutôt le 26 octobre…à 9 heures du matin.
[iii] Ce qui entraîna les cris horrifiés de la bonne société anglaise victorienne : «Descendre du singe? Espérons que ce n’est pas vrai. Et si cela l’est, prions pour que ça ne s’ébruite pas» (Pierre Yves Morvan).

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