samedi 4 avril 2009

Le pantalon

Lettre à ma fille

lundi 1 décembre 2008

Ma chère Marie-Claude,

Hier, dimanche, ta mère et moi sommes descendus à pied au Marché du Vieux-Port. Quand nous passions près des grands édifices, le vent nous assaillait férocement. Heureusement, j'avais mon chapeau Tilley avec oreilles et rabat sur le front. Ta mère avait son gros «coat de pouelle».

En passant à côté de l'église St-Jean-Baptiste, nous sommes entrés, moitié pour nous réchauffer et moitié parce que ta mère avait envie de voir le marché aux puces au sous-sol. J'ai acheté trois paires de bas à 5,00$ pour les trois. Je les ai coincés dans mon blouson, faute de poches assez grandes.

Puis, nous nous sommes rendus, frigorifiés, au Marché du Vieux Port. Plein de monde. Nous avons fait le tour sans rien acheter. Ta mère a ramassé quelques feuillets de recettes sur le veau de Charlevoix. Elle ramasse souvent des recettes comme ça mais ne les utilise jamais. Je pense que ça lui donne bonne conscience. Même si elle voulait les utiliser, elle ne le pourrait pas car elle les fourre pêle-mêle dans ses tiroirs où il devient impossible de les retrouver. Ça fait rien, je l'aime comme ça ta mère.

Puis, direction Petit Champlain. En passant sur la rue Saint-Paul, beau magasin de vêtements pour dames. Tu connais ma cliente: terminus, tout le monde descend. Après quelques taponnages, découverte d'un super beau pantalon, doublé ma chère et s'harmonisant tout ce qu'il faut avec le «coat de pouelle». Mais s'harmonisant mal avec le compte de banque de ma douce: 255$ avant taxe. Crise de conscience aiguë. On quitte ces lieux maudits, la mort dans l'âme mais les dollars dans le portefeuille.

Il approche 15h00 et nous avons l'estomac dans les talons, ce qui n'empêche pas cette chère âme de lorgner du côté des boutiques sur notre route et même d'entrer dans quelques-unes pour rechercher ce pantalon béni des dieux. Enfin, nous arrivons presque à genoux au resto «Sous-le-Fort» dans la rue du même nom. Pour débuter, petit verre de vin rouge descendu du ciel pour nous couler dans la gorge pendant que nous nous soufflons dans les mains pour les dégeler. Puis, nous commandons une cipaille avec 2 assiettes. Bien nous en prit car c'est copieux. C'est tellement délicieux que ta mère en oublie ses recettes au veau et décrète que la prochaine fois que nous recevrons du beau monde, c'est ici que nous viendrons chercher notre repas, en faisant croire, bien entendu, que c'est un mets maison. «T'as pas honte, menteuse!», que je lui lance. J'ai droit à un petit «Pfiou!», méprisant. Elle n'a pas de morale, cette femme-là.

Bien repus, nous repartons affronter le temps froid. Pas longtemps. Juste de l'autre côté de la rue, une magnifique boutique de vêtements pour dames que ta mère connaît bien. Je m'assois dans un confortable fauteuil pendant que madame fait la causette à la vendeuse en lui expliquant qu'elle recherche un pantalon comme celui que sa belle-soeur, celle qui a marié Raymond, le frère de son mari, celui qui est assis là dans le fauteuil, a trouvé au Carrefour Laval, au nord de Montréal où nous habitions avant d'acheter une maison à Cap-Santé où nous avons vécu dix ans avant de venir nous établir à Québec, au Montmorency, dans un appartement que nous aimons bien, situé à côté des Plaines où il fait très froid l'hiver, surtout qu'elle-même est très frileuse des fesses et c'est pourquoi elle cherche un pantalon doublé pour aller sur les Plaines où elle va souvent marcher seule quand son mari ne veut pas l'accompagner. (As-tu vu la circonlocution pour envelopper le sujet sans jamais perdre de vue l'objectif ultime qui était le pantalon doublé? Y a du génie là-dedans).Le magasin ne tient pas de pantalons doublés. Mais ça fait rien, la vendeuse était charmante.

Presque à côté, il y avait ce magasin de verre soufflé et coloré. Ta mère a acheté une jolie petite pièce pour pendre des clés. C'est un cadeau pour toi qui as déjà plus de ces porte-clefs que tu n'as de clefs. Et moi, j'ai fait sortir ta mère du magasin pour lui acheter un petit quelque chose d’aussi joli qu'inutile. Elle est sortie en me disant qu'elle allait voir les magasins vers la droite. Elle est partie vers la gauche. Après quinze minutes, j'ai failli lancer un avis de recherche.

Nous sommes remontés sur la terrasse Dufferin par le funiculaire. Il était près de 16h30 et la ville était magnifique sous les lumières. Nous tenant par la main, nous avons pris la direction de la rue St-Jean pour aller chez Simon's voir s'il y aurait là le fameux pantalon. Petit croche vers la côte de la Montagne pour jeter un coup d'oeil à la galerie «Le chien d'or» où l'on expose des toiles de Denis Nolet, le peintre dont j'ai utilisé une des toiles dans mon «Épitaphe pour une brouette»*. Il fait vraiment de belles choses, ce peintre. Des toiles aux couleurs vives, pleines de merveilleux. C'est pas donné. Jusqu'à 2000$. Nous avons causé avec la jeune galeriste à l'accent anglais et, lorsque nous lui avons dit que nous connaissions Denis Nolet, elle est allée chercher d'autres toiles à l'arrière et nous a donné deux belles cartes postales de lui.

*Épitaphe pour une brouette. Éd. De la Francophonie.

Arrêt dans une autre boutique où il n'y a pas le pantalon recherché mais où nous engageons conversation avec la jeune vendeuse qui, d'une chose à l'autre, nous apprend qu'elle étudie en littérature. Elle vient de Chibougamau et s'appelle Lisa Perron. Ta mère lui apprend que je viens de publier alors que je prends un air faussement modeste. Elle se déclare très intéressée. Je lui remets mon carton publicitaire. Elle promet d’acheter mon livre. J'offre de lui vendre à 15$ puis, sorti du magasin, je reviens sur mes pas et lui dis que je le lui donnerai si elle passe le prendre chez moi. Je suis comme ça moi, toujours à l'affût de la bonne affaire.Puis, nous prenons bravement la route de retour, pour de bon cette fois. Ta mère me dit qu'elle a l'intention d'aller fouiner aux centres d'achat pour son pantalon et même de retourner rue Saint-Jean voir ce fameux pantalon à 255$ + taxes.
Arrivée à la maison, elle sort de sa penderie une culotte en polar qu'elle vient me montrer. «Tu sais, dit-elle, si je mets ça sous le pantalon beige que j'avais cet après-midi, ce sera bien assez chaud et je n'aurai pas besoin de dépenser pour m'acheter un nouveau pantalon» ... Je l'aime quand même, tu sais, cette femme aux retournements imprévisibles.
Moi, en arrivant je déboutonne mon blouson ... j'avais perdu les trois paires de bas que j'y avais coincées.

Ce fut, malgré tout, une bien belle journée.

Je t’embrasse,

Papa

P.S.: Je ne t'ai pas dit le dénouement de l'histoire du pantalon de ta mère. Tu sais quoi? ... Cet après-midi, au Centre d’achats, elle se l'est acheté ce pantalon. En vente à $49, tu peux pas laisser passer ça
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Publié par Jean Marcoux à l'adresse 08:51
2 commentaires:
Marcelle Bouchard a dit…Cher Gulliver,
J'aime bien ce petit mot à Marie-Claude.Je continue maintenant ma lecture et j'essaie de ramasser ces petits papiers froissés tout en ayant la tête dans les étoiles.
à bientôtEugénia
1 décembre 2008 20:52 Marie-Claude a dit…Cette nouvelle me fait toujours rire aux éclats! Je reconnais très bien maman même si elle prétend ardemment le contraire. Chère maman, c'est vrai qu'on l'aime comme ça!Je me réjouis toujours de constater à quel point tu apprécies les petits gestes du quotidien qui nous apportent tant de bonheur. Pour cela, et pour bien d'autres choses bien sûr, tu es un exemple à suivre.Ta fille qui t'aime11 décembre 2008 15:32

Publié par Jean Marcoux à l'adresse 12:58 0 commentaires
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