lundi 21 septembre 2009

La création de l'homme vue de Cap-aux-Oies

Permettez d’abord que je vous rappelle ce que je vous disais le 8 juillet dernier en préambule à La création du monde vue de Cap-aux-Oies :

«Vous connaissez comme moi toutes ces théories sur l'évolution n'est-ce pas? Les éléments inertes qui, après quelques millions d'années d'hésitations donnent naissance à des êtres vivants unicellulaires qui s'agglutinent dans les mers pour produire lentement des bêtes plus ou moins hideuses. Puis, celles-ci, avec le temps, se hissent péniblement sur la terre pour se transformer en une multitude d'autres bêtes dont l'une finit par se tenir constamment sur ses pattes de derrière pour devenir un "homo erectus" plus ou moins abruti qu'on a baptisé tour à tour de noms affectueux comme Pithécanthrope, Australopithèque, homme de Neandertal, homme de Cro-Magnon, et je ne sais quoi encore».

Vous vous rappelez aussi sûrement comment, de son côté, mon grand-père de Cap-aux-Oies faisait fi de toutes ces théories sur l’évolution et, un bon matin, m’a expliqué, avec moult détails, comment s’étaient vraiment passées les choses : un Bon Dieu qui se retrousse les manches pour se lancer dans une corvée de tous les diables pour créer les astres et semer la vie sur la terre : plantes aussi bien qu’animaux. Vous vous souvenez, n’est-ce pas, de son langage imagé pour me décrire ces premiers épisodes de la création.

Juste au moment où il s’apprêtait à m’expliquer la création de l’homme, son récit a été interrompu par ma grand-mère qui nous appelait pour le diner. Je vous avais donc promis de poursuivre un autre jour les merveilleuses vues de mon grand-père sur la création de l’homme. Eh bien, voila.

Le lendemain matin donc, mon grand-père m’a dit qu’après avoir créé cet immense univers et tous ses animaux, le Bon Dieu a commencé à s’ennuyer. Il lui est alors venu à l’idée de planter dans le décor un petit bonhomme à sa ressemblance.

«Ce qu'il faut bien savoir, mon petit gars, m’a-t-il dit, c'est que dans toutes les choses des premiers jours de Sa création, le bon Dieu a mis un instinct. Dans les arbres Il a mis l'instinct de pousser, dans les roches Il a mis l'instinct de tomber, dans les oiseaux Il a mis l'instinct de voler, dans les renards Il a mis l'instinct de courir après les lièvres. Pas besoin de réfléchir, pas même besoin de penser du tout, c'est l'instinct qui fait que les choses se font toutes seules. Si tu connais bien l'instinct de la chose ou de la bête, bien tu sais d'avance ce qui va arriver. Et quand c'est Toi le bon Dieu qui a mis l'instinct dans les choses, bien il n'y a plus de surprises. Tu sais toujours tout d'avance.

«Ça fait que Lui Qui s'était lancé dans les grands travaux de la création avec l'idée de Se servir de Ses créatures pour S'amuser un peu, Il a commencé à tourner en rond. On était à l'aube du sixième jour de la création et, il faut bien le dire, ce jour-là Dieu s'ennuyait.

«Il lui est alors venu à l’idée de planter dans le décor un petit bonhomme à sa ressemblance.

«Alors, Il a fait venir Son Garçon Jésus et Lui a demandé s'Il avait des suggestions. Des fois, les jeunes, ça a des bonnes idées. Surtout que Celui-là, Jésus, c'était vraiment un brillant, tu sais. Mais tout ce que Jésus a trouvé à proposer pour désennuyer son Père ce sont des problèmes de mathématiques vraiment faits pour des «superbols». Le Père ça sert à rien, Il était pas doué pour les mathématiques. Tu me diras que pour faire marcher le soleil, la lune et les étoiles, il faut beaucoup de mathématiques, mais le Père, Lui, Il s'était contenté de les créer puis Il s'était aussitôt viré de bord pour confier à Son Garçon le soin de faire tourner tout ça.

«Il en a aussi parlé au Saint-Esprit. Celui-là non plus Il n'était pas manchot, je t'en passe un papier. Mais le Saint-Esprit, comment te dire, c'était un peu comme le beau-­frère de Dieu le Père. Et les beaux-frères, tu sais comment c'est, hein? C'est un peu frondeur, avant-gardiste, aventurier, bref c'est pas toujours bien vu dans la famille. D'ailleurs quand la Vierge Marie est entrée plus tard dans la famille, elle L'a toujours regardé d'un air soupçonneux, Celui-là. Une femme ça a de l'intuition. Elle Le soupçonnait de quelque chose mais sans trop savoir de quoi. Toujours est-­il que le Saint-Esprit a lancé comme ça à Dieu le Père "T'as pas pensé à mettre un peu de piquant dans tes créatures? A leur donner un peu de "lousse", à arrêter de toujours tout décider à leur place? Laisse-leur se casser la gueule un peu. Fais-en des hommes."

"Tu y penses pas" que lui répond Dieu le Père scandalisé par cette idée, "le temps de le dire, ils vont me mettre sur la terre un bordel de tous les diables." (Comme on le voit, le Bon Dieu a de ces expressions qu'on ne s'attendrait pas à retrouver dans Sa bouche. Surtout avec Son éducation).

«Quand même la suggestion du Saint-Esprit a tranquillement fait son petit bonhomme de chemin dans la tête de Dieu le Père Qui trouvait bien séduisante l'idée de laisser Ses créatures prendre elles-mêmes leurs décisions. Puis pour ne pas trop prendre de risques, on pourrait limiter ça à une ou deux créatures. Comment a-t-il(*) dit ça déjà le beau-frère? "Fais-en des zommes ou des zums" quelque chose comme ça, hein? Quel mot bizarre! Si jamais je (**) me décide à créer des petites créatures de même, je les appellerai comme ça, tiens.

«Alors Dieu le Père fait revenir Son Garçon et le Saint-­Esprit: "D'accord, qu'Il Leur dit, je vais vous fignoler une petite créature de mon cru comme vous n'en avez jamais vue. Une petite chose absolument autonome et donc imprévisible. J'ai comme l'impression que ça va être fou à lier et que ça va
nous faire rigoler jusqu'à la fin des temps. Pour un bout de temps, on va laisser ça en bas sur la terre, juste pour voir de quoi ça a l'air. Puis, si c'est vraiment amusant comme je pense, on la fera monter ici en haut, à côté de nous pour continuer à s'amuser. Mais il y a un problème: pas plus de tête que ça, une petite créature de même ça nous écoutera pas, ça va faire plein de bêtises, ça va vite se faire mettre la main au collet par le diable et ça ne sera plus récupérable. On pourra jamais faire venir ça ici sans perdre complètement la face devant les anges et les archanges. Je ne sais pas trop comment régler ce problème-­là."

«Jésus, Qui était un beau grand châtain au front bombé d'idéal, Se met à Se frotter la barbe pensivement puis, tout-à-coup, Il lève Ses beaux grands yeux clairs vers Son Père et Lui lance "Je vais aller te les récupérer, moi, tes petites bêtes!" Le Père en reste bouche bée. Tout ce qu'Il trouve à dire c'est: "Ça sera pas des bêtes, ça sera des zommes." Le Saint-Esprit ferme les yeux dans un geste d'exaspération et reprend "Pas des zommes, des HOMMES, avec un "h" muet." (Le Saint-Esprit, Il en aurait déclassé plusieurs au concours de Bernard Pivot). Mais Dieu le Père L'écoute à peine et reprend:

- Mais comment tu ferais ça, toi, mon garçon?

(*) Le lecteur aura noté que les membres de la Sainte Trinité Se tutoient et que, lorsqu'Ils parlent l'Un de l'Autre, Ils n'emploient pas la lettre majuscule. Comme Ils sont égaux entre Eux, Ils n'ont évidemment pas besoin de ces signes de respect. Ils n'emploient pas la majuscule non plus lorsqu'Ils parlent d'Eux-mêmes car Ils ont toujours dit que ça faisait pédant. De plus, quand l'Un d'entre Eux parle de Lui-même, Il ne dit jamais "Nous" comme l'ont fait beaucoup de rois et le font encore de nos jours certains ministres.
(**) Vous voyez, je vous l'avais bien dit, pas de majuscules lorsqu'Ils parlent d'Eux-mêmes. Quelle leçon de simplicité, n'est-ce pas?


- Bien, je me déguiserais comme l'un d'eux et je descendrais les remettre sur la bonne voie... puis, tiens, tant qu'à faire, pour être bien sûr qu'ils me prendraient pour l'un d'entre eux, je passerais par le ventre d'une de ces créatures-là, comme la plupart des petits de tes autres créatures.

- Ma foi du bondieu, t'en as des idées, toi mon garçon. Puis, comme se parlant à Lui-même, le Père continue:

- C'est vrai que pour ce qui est de fabriquer une créature porteuse de bébés, ça serait pas un gros problème: j'aurais rien qu'à mettre à l'homme une côte de plus.

«Jésus et le Saint-Esprit ne comprennent pas grand chose aux recettes du Vieux et ne savent pas trop ce que la côte vient faire là-dedans mais Ils Lui font confiance, Ils savent qu'Il a plein de tours dans Son sac à magie. Pourtant, on voit que quelque chose Le turlupine.

- Mais qui c'est qui irait mettre la semence dans la créature?

- Je pourrais m'occuper de ça, moi, dit l'Esprit.

- Bon, alors c'est entendu: moi, je fabrique la créature, et je lui donne une compagne. Toi, l'esprit, tu t'occupes de la semence et toi, fiston, tu iras me récupérer la créature le jour venu. On s'entend comme ça?

- D'accord.

"Et c'est comme ça, mon petit gars, que le premier homme est apparu sur la terre", a conclu mon grand-père en tapant sa pipe sur le bord du crachoir posé bien à plat sur la galerie de Cap-aux-Oies.

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Vous ne croyez pas un mot de la version de mon grand-père, dites-vous?... Bon, libre à vous.

...Se pourrait-il que, dans votre cas, vous soyez vraiment, comme moi, un descendant d'Australopithèque ou, au mieux, de l’homme de Cro-Magnon?



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