Touristes de l’Univers – Chapitre 6
Nous avions à peine fini d’avaler notre dernière gorgée de café que mon petit bonhomme, qui ne laissait jamais tomber le morceau, revint à la charge :
«Alors, où donc, en fin de compte, a-t-elle eu lieu cette fameuse explosion ?
- Je crains bien de te décevoir, mon cher Simon (vous l’avais-je dit qu’il s’appelait Simon ?), mais ta question n’a pas plus de sens que celle de Minouchka qui me demandait quand avait eu lieu l’explosion.
Simon, sans même un mot, laissa tomber les bras dans un geste d’exaspération.
- Eh bien oui, pour dire où s’est produite l’explosion, il fallait bien qu’il y ait d’abord un espace pour la localiser, n’est-ce pas ? Eh bien, avant le Big Bang, il n’y avait pas d’espace…
Je les laissai digérer un moment cette nouvelle pilule.
- Donc, lança Minouchka, une explosion formidable provoquée par on ne sait quoi, dans un temps qui n’existait pas et dans un lieu qui n’existait pas non plus, c’est bien ça ?
- Oui, c’est tout ce que nos hommes de science peuvent nous dire pour le moment.
- Je pense, maugréa Simon, que je vais m’en tenir à l’histoire d’Adam et Ève qui, à tout prendre, est moins invraisemblable que ton histoire de Big Bang.
- Bien, ce n’est pas moi qui ai inventé l’histoire du Big Bang. Ce sont, je te l’ai dit, de grands esprits de notre époque qui sont arrivés à cette conclusion et pratiquement tous les scientifiques d’aujourd’hui en reconnaissent l’authenticité. Cette théorie a passé haut la main toutes les épreuves auxquelles on l’a soumise. Avec le temps, on y apportera sûrement des modifications mais, fondamentalement, elle est là pour rester.
- Bon, dirent-ils en chœur, en levant des sourcils sceptiques, mais sait-on au moins ce qui est arrivé au moment de cette explosion ?
- Eh bien, nos astrophysiciens nous racontent que, dès après l’explosion, l’infiniment petite chose qu’était l’univers à sa naissance, s’est agrandie à une vitesse foudroyante, une vitesse vertigineuse, infiniment supérieure même à la vitesse de la lumière et tout cela en une toute petite fraction de seconde.
Mais cet univers agrandi n’était rien de moins qu’un incroyable chaos : une soupe de milliards de mini-particules qui, se lancèrent aussitôt dans une guerre totale : une armée de particules de matière contre une armée de particules d’antimatière s’annihilant les unes les autres dès qu’elles entrent en contact. Une guerre éclair qui ne dura pas plus de trois minutes.
- Antimatière ? Qu’est-ce que c’est ça ?
-Eh bien, si l’on prend, par exemple, un proton [i] qui porte une charge électrique positive, l’antiproton est son jumeau mais il est doté d’une charge négative. Ils ne peuvent pas se sentir. S’ils se rencontrent, c’est fatal. Ils s’annihilent. Au surplus, les deux armées ont autant de soldats l’une que l’autre, sauf que, pour une raison tout à fait inconnue, parmi les milliards de milliards de militaires engagés dans cette guerre à finir, un petit soldat de plus dans l’armée de la matière a permis à cette dernière, en fin de compte, de gagner la bataille. Heureusement pour nous qui sommes faits de matière car si cette dernière avait perdu, nous ne serions même pas là pour en parler.
- Bon, et après ? demanda Minoucka qui, pour bien marquer la victoire de la matière, n’avait manifestement pas perdu la faculté de parler.
- Attends, attends, dit délicatement Simon à Minouchka, je veux bien comprendre ce qui vient d’arriver. Alors, se tournant vers moi, il me dit :
- Êtes-vous en train de nous dire que l’univers de démesure que nous connaissons aujourd’hui et dont la naissance remonte à au-delà de quatorze milliards d’années, a commencé par quelque chose comme une infiniment petite particule qui, en un éclair, a gonflé démesurément pour se charger de milliards d’autres petites particules en moins d’un milliardième de seconde avant de se lancer dans une guerre éclair dont l’armée de la matière est sortie victorieuse parce qu’elle avait un soldat de plus que l’armée de l’antimatière ?
- Eh bien oui, Simon, c’est ce que nos hommes de science nous disent aujourd’hui. Nous serions passés de l’infiniment petit à l’infiniment grand en termes d’espace et de l’infiniment court à l’infiniment long en terme de temps.
Après un long moment de silence pour digérer ces notions, Minouchka revint à la charge :
- Bon, et après ?
- Eh bien après, l’immense soupe désorganisée de matière et d’énergie qui constituait l’univers a été plongée dans une noirceur totale et ce, pendant la plus longue nuit de tous les temps : 380 000 ans. Oh, ce n’est pas que la lumière était complètement absente mais, pendant cette période de noirceur, les particules de lumière, qu’on appelle photons, étaient paralysées par une inimaginable foison d’électrons. [ii] Un peu comme la lumière d’une torche voilée par la brume.
Lorsqu’enfin les électrons ont été capturés par les atomes en voie de construction, la voie est devenue libre pour les photons et la lumière a finalement réussi à percer. Si nous avions été là en l’an 380 000, nous aurions vu un ciel aussi brillant que la surface du soleil.
Les plus vieilles images de l’univers que nous révèlent aujourd’hui les satellites COBE et WMAP remontent ainsi à la 380 000e année après le Big Bang.
- Et après ?s’enquit Simon à son tour.
- Après ? La soupe de particules, encore inorganisée, continue de s’agrandir en envahissant l’espace créé à la suite du Big Bang. Mais, en s’agrandissant, l’univers qui, à ses débuts, était d’une chaleur et d’une densité inimaginables, se dilue et se refroidit. De vastes nuages de gaz et de poussières, créés par le Big Bang, se forment ici et là, se compactent de plus en plus sous la force de gravitation et se réchauffent considérablement.
Un milliard d’années après le Big Bang, des feux jaillissent ici et là dans ces nuages : les premières étoiles sont nées ! Ce fut en quelque sorte le fiat lux de la Genèse. L’univers qui, à ses débuts, était une soupe quasi totalement uniforme de particules et semblait s’acheminer vers la plus grande platitude, se révèle de plus en plus dynamique dans sa marche vers la complexité. Où donc s’en va-t-il cet immense et mystérieux bonhomme ?
- Et où donc? s’écrièrent simultanément Simon et Minouchka ?
-Où ? Eh bien, nous verrons ça la prochaine fois, qu’en dites-vous ?
[i] Le proton, on s’en souvient est une partie constituante du noyau de l’atome mais, dans l’univers qui vient de naître, il barbotte pour ainsi dire tout nu et sans l’armure de l’atome pour le protéger car l’atome n’existe pas encore.
[ii] Il s’git ici d’électrons libres, c'est-à-dire qui ne sont pas encore intégrés aux noyaux des atomes qui ne sont pas encore formés. Éventuellement, ces électrons viendront danser autour des noyaux des atomes.
1 commentaire:
Cher Jean,
En finissant la lecture de ce chapitre très intéressant, je pensais à cette phrase du grand Pascal : " Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraye ". Et il est vrai que le cosmos donne le vertige et que l'homme semble perdu dans cette immensité.
Mais l'homme a tout de même le privilège d'être en mesure de penser le cosmos et d'avoir une véritable relation avec l'espace, ce que n'a pas le chimpanzé, par exemple. Il y a aussi ces notations de Malraux dans ses Antimémoires qui se rapportent à votre sujet : " Les espaces menaçants sont les mondes dont l'immensité et la multiplicité frappent de stupeur, puis de terreur celui qui imagine n'être qu'un minuscule fragment de cette immensité matérielle ; mais l'homme n'est pas un simple petit morceau de matière : le ciel étoilé m'a semblé aussi effacé par l'homme, que nos pauvres destins sont effacés par le ciel étoilé ".
Nous savons désormais qu'aucun lieu n'est un centre comme on le croyait du temps d'Aristote. Nous sommes en permanence dans l'indéterminé, ce qui change toutes les relations de quelque ordre soient-elles.
Merci pour la clarté de ce travail dont on ne se rend pas compte de la difficulté.
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