lundi 14 mars 2011

Minouchka et le Big Bang

Touristes de l’Univers – Chapitre 5

Ce matin, au réveil, surprise ! Nous avions une visiteuse : la petite femme de mon petit bonhomme était là, Minouchka, occupée à le frotter et le bichonner pour le soulager de toutes ces bosses et écorchures qu’il s’était infligées en dégringolant de ses échelles. Lui, de son côté, ne cessait de me lancer des regards soupçonneux. «Bon, lui lança-t-elle, décide-toi et dis-lui ce qui te turlupine.»

«C’est cette histoire de Big Bang que j’ai de travers dans la gorge, me lança-t-il, me défiant des yeux.
- …..
- D’abord, quand a-t-il eu lieu ce fameux feu d’artifice ?
- Il ya 14,7 milliards d’années, nous disent les astrophysiciens.

Là, c’est Minouchka qui, après un moment de silence, est intervenue :

- Je veux bien mais que se passait-il, disons il ya quinze milliards d’années ?
- Ta question, je le regrette, ma chère Minouchka, n’a pas de sens.
- Pas de sens ? me répliqua-t-elle. Comment ça pas de sens ?
- Bon, regardons le phénomène du Big Bang en deux temps : pour qu’il y ait explosion, il fallait d’abord un pétard. Ce qu’on appelle le Big Bang, ce n’est pas le pétard lui-même mais l’incroyable déflagration causée par le pétard. En d’autres mots, le Bang est survenu après l’apparition du pétard. Me suis-tu ?
- Oui, mais d’où venait-il ce pétard ?
- Là, c’est la question à un milliard de dollars. On ne le sait pas. On spécule sur ce que certains appellent «un vide rempli d’énergie» ou l’apparition inexplicable d’une infiniment petite particule d’une densité et d’une chaleur inimaginables qui auraient, l’un ou l‘autre, provoqué l’explosion mais, en fait, on est devant un mur qu’on ne pourra probablement jamais traverser pour voir ce qu’il y a de l’autre côté. C’est ce qu’on appelle «le mur de Planck» du nom du scientifique qui en a avancé l’idée.

Minouchka mijota un moment mes propos mais, sous les yeux médusés de son petit bonhomme de mari, revint à la charge :

- Pourquoi dites-vous que ma question n’a pas de sens lorsque je vous demande ce qui se passait il y a quinze milliards d’années ?
- Parce que ce que j’appelle le pétard, c’est l’apparition inexplicable de l’univers, le mystérieux moment zéro. Et, avant cette apparition, le temps n’existait pas. Le temps est né avec l’apparition de l’univers. Pas d’univers, pas de temps.
- Voyons donc, est alors intervenu mon petit bonhomme, comme si le temps pouvait ne pas exister. Je sens que tu vas me sortir que c’est parce que les calendriers et les horloges n’avaient pas encore été inventés.
- Pas du tout. C’est tout simplement parce que, avant le Big Bang, le temps n’existait pas, point à la ligne.

Mon petit bonhomme, exaspéré, détourna la tête en expirant bruyamment.

Minoucka a cessé un moment de frotter son bonhomme et m’a lancé un regard étonné mais n’a pas pipé mot.

- Le temps, dis-je, n’est qu’une mesure entre deux événements. S’il n’y a pas d’événement, il n’y a pas de temps.
- Répète ça pour voir, dit le petit bonhomme.
- Supposons que, par la pensée, nous nous retrouvions, toi et moi, dans le néant. Un néant absolu. Il n’y a rien et ne se passe rien. Même toi et moi n’y sommes que par la pensée. Nous n’avons donc aucun moyen de mesurer le temps car il ne se passe rien, absolument rien. Nous n’avons pas d’horloge pour calculer le temps qui passe, ni de cœur pour en calculer les battements car nous ne sommes même pas là en personne, nous n’y sommes que par la pensée. Donc, où que se porte notre pensée, il ne se passe rien. Nous n’avons aucun repère pour mesurer le temps.

Je les laissai un instant mijoter ce que je venais de dire, puis continuai :

- Ce qu’il faut bien voir ici c’est que le temps n’est qu’un moyen de mesurer la distance en heures, en minutes, en secondes, etc. entre deux événements. En somme, le temps n’existe pas en soi. Le temps n’est pas une chose qui se promène sur la rue. Il n’est qu’une unité de mesure inventée par notre esprit pour mesurer l’espace temporel entre des événements. Me comprenez-vous bien ?

Lui, je ne sais pas. Mais, Minouchka, elle, semblait avoir bien saisi l’idée. Je me tournai alors vers elle et continuai :

- De sorte que lorsque tu me demandes ce qui se passait il y a quinze milliards d’années et que je te dis que ta question n’a pas de sens c’est parce que le temps n’a commencé d’exister qu’avec le pétard de l’apparition de l’univers, il y a 14,7 milliards d’années.

Un sonore et perplexe «Mouais !» fut la seule réponse de mon petit bonhomme. Je me tus pour le laisser digérer cette notion quelque peu indigeste du temps.
……….

- Bon, très bien, reprit mon petit bonhomme : parler du moment où est survenu le Big Bang n’a pas de sens. Mais sait-on, à tout le moins où est survenue cette fameuse déflagration, à quel endroit dans l’espace ?

Je réfléchis un petit moment et leur proposai de faire une pause et d’aller grignoter une tartine et boire un café. Car, leur dis-je, il faudrait mieux laisser cette notion de temps faire son chemin dans leurs cerveaux avant de s’attaquer à la notion d’espace qui risquait, elle aussi, d’ébranler leurs convictions de toujours.

On aura beau déblatérer sur toutes ces compagnies internationales qui envahissent nos pays. Le café chez Tim Horton’s est vraiment bon. On nous garantit même que celui qu’on nous sert a été préparé dans les dix minutes qui précèdent. Eux au moins savent ce qu’est le temps.













1 commentaire:

ARMELLE a dit…

Cher Jean, voici ce que m'inspire votre dernier chapitre sur les " Touristes de l'univers" que nous aimerions être et sur le temps dans lequel nous sommes tombés en naissant :

On connaît la complainte d’Apollinaire :
« Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le Pont Mirabeau coule la Seine »

Écoulement perpétuel, chanté, déploré par combien de poètes ; mais aussi point fixe :

« Vienne la nuit, sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure ».

A la fin de sa « Recherche du temps perdu » soit dans « Le temps retrouvé », Marcel Proust décrit les hommes « comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes - entre lesquelles tant de jours sont venus se placer - dans le Temps ».
Toucher simultanément comme des géants, à des époques…si distantes…dans le Temps. Qu’est-ce que cette simultanéité ? Est-ce au sens propre de négation de l’écoulement du temps ?
D’abord le passé n’est pas simplement le passé, à jamais disparu. Freud a noté que rien dans la vie psychique ne peut se perdre, rien ne disparaît de ce qui s’est formé, tout est conservé d’une façon quelconque et peut ré-apparaître dans certaines circonstances grâce à la mémoire involontaire si bien décrite par Proust. Bergson, dans son ouvrage « Matière et Mémoire », arrive à la même conclusion majeure que Freud et Marcel Proust : la mémoire conserve intégralement le passé et le temps reste toujours quelque chose de relatif dans la perception de l’homme.
Par ailleurs, il y a quelque chose d’universel dans le temps et cela se remarque jusque dans le fait que toutes les civilisations s’organisent temporellement ( fêtes et cycles ). Aucun phénomène humain n’est hors du temps. C’est la raison pour laquelle le temps est aussi bien notre mesure intérieure qu’extérieure.