samedi 4 avril 2009

Le paradis perdu

Le paradis perdu
mercredi 21 janvier 2009

Dans un texte récent, mon amie Fernande Goulet dit: Il m'aura fallu tant de jours pour mieux saisir que tout ce qui s'inscrit dans le temps, à peine à la surface des choses, doit inexorablement basculer dans un autre espace: celui d'un passé irréductible.
Ce matin, cette pensée me rend nostalgique. Nostalgique de tous ces membres de ma famille. Ma mère qui nous couvait comme des poussins, mon père qui me promenait affectueusement sur ses épaules, mon frère, l'aîné, que j'admirais parce qu'il nageait comme un poisson, ma sœur que mon père appelait «ma noironne», mon grand-père, silencieux dans son fauteuil berçant, l'oncle Rosaire et sa joie de vivre, puis eux tous, mes autres oncles et tantes, Arthur le rigolard, Georges-Henri, le méticuleux, Éva, la pianiste, Félix à la chaude voix de baryton, Marthe, la naïve, Jeanne, la jolie femme, et aussi mes cousins et cousines, Jacques, l'amant de l'opéra, Julien, le joueur de tours, Mariette, l'affectueuse, et tous les autres, tous disparus aujourd'hui sauf mon frère Raymond, ma cousine Mariette et mon cousin Claude.
Je revois, me semble-t-il, toute cette joyeuse visite réunie à notre chalet une fin d'après-midi d'un samedi ensoleillé. Les hommes regroupés sur la berge qui surplombait la rivière, devisant et riant très fort à côté des garçons qui, des cailloux plein leurs poches, jouaient à celui qui lançait le plus loin tandis que ma mère et mes tantes, plus belles que jamais, le visage rougi par l'excitation et la chaleur du fourneau, s'affairaient à la cuisine. Et la jolie rivière qui coulait paisiblement vers un petit rapide quelques centaines de pieds plus bas.
Plus tard, on souperait joyeusement autour de la grande table et l'oncle Rosaire lancerait «Regardez, regardez!» en nous montrant du doigt la charrette à foin que le cultivateur avait arrêtée au milieu du rapide pour laisser boire ses chevaux dans la douce lumière de la fin du jour.
Après le souper, on jouerait aux fers et au jeu de poches au milieu des exclamations.
Avant d'entrer, dans le soleil couchant, l'oncle Félix chanterait:
«J'aime le son du cor, le soir au fond des bois
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille».
Après, on s'installerait tous sur la galerie grillagée et on allumerait les fanaux à l'huile pendant que les femmes prépareraient les lits. Ça bavarderait joyeusement sous les étoiles qui s'allumeraient une à une, l'oncle Rosaire se lançant, avec grands rires et claques dans les mains, dans la narration de ses voyages.
Puis, ma mère irait allumer les manteaux de la lampe Coleman dans la grande salle commune, ce qui annoncerait l'heure du coucher des enfants. Guidés par un adulte, nous irions tous faire nos pipis dans la bécosse entourée de fantômes, isolée de l'autre côté du ruisseau.
Puis là, nous irions nous blottir dans nos lits, entourés de nos cousins et cousines et nos mères viendraient nous border au milieu de nos fous rires.
Peu à peu, nous nous endormirions en rêvant aux parties de pêche, aux cueillettes de fraises sauvages et aux excursions à la montagne qu'on nous avait promises pour le lendemain.
Et moi, au milieu de tout ça, je nageais dans le bonheur. C'était une autre vie, un autre monde, un autre moi.
Où sont-ils donc partis tous ces gens que j'aimais tant? Je ne les reverrai donc jamais? Ils me manquent terriblement.
Et le Dieu de mon enfance qui était si présent dans nos vies, où est-il Lui?Est-ce ça le paradis perdu?
Publié par Jean Marcoux à l'adresse 14:15

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