samedi 4 avril 2009

Les p'tits bonheurs

Les p'tits bonheurs
Vendredi, le 27 février 2009

Lettre à Élaine et à tous ceux et toutes celles qui me sont chers,
Permettez qu’aujourd’hui, alors que s’étirent les longues journées d’hiver, je vous propose, bien naïvement je le crains, mes petites recettes de bonheur :
Cessez de vous poser la question : décrétez, une fois pour toutes, que Dieu existe et que, le soir de votre mort, Il vous accueillera, les bras grand ouverts, là-bas sur la ligne d'horizon.
Trouvez une conjointe douce et aimante et apportez-lui une rose tous les mois ou trouvez un conjoint compréhensif et fort et faites-lui de beaux enfants.
Prenez votre retraite et installez-vous à la campagne, sur le bord du fleuve.
Durant l'hiver, rêvez au jour où vous entendrez les cris rauques des corneilles vous annoncer le printemps.
Lorsque vous aurez fait une grande randonnée à skis et, qu'en fin de journée, vous aurez les mains et le visage rougis par le froid, mettez deux ou trois bûches dans l’âtre et, les pieds devant le foyer, buvez un grand verre de vin rouge en regardant pétiller le feu. Puis, somnolez un peu avant le souper. Ou étendez-vous sur le divan et dites à votre bien-aimée de venir se blottir dans vos bras.
En janvier, sortez pots, semences, terreau et arrosoir pour débuter vos semis.Au premier matin du printemps, ouvrez grand volets et fenêtres pour aérer la maison et prenez de grandes respirations.
Puis, descendez sur la grève qui borde les caps pour voir l'eau en ruisseler joyeusement en faisant dégringoler les congères dans un bruit de clochettes.
Le soir venu, allez rêver sous les millions d'étoiles pour ventiler votre âme et lui donner de l'ampleur.
Demandez à votre bien-aimée de vous faire une tarte aux pommes deux fois par mois et mangez-la chaude, nappée de crème glacée.
Ou demandez à votre conjoint de vous emmener sillonner les routes de l'île d'Orléans, arrêtez-vous à un kiosque pour acheter des framboises et demandez au paysan s'il est natif de l'île ou si la récolte est bonne cette année ou ce qu'il fait durant l'hiver. Parlez avec lui un bon quinze minutes et n'oubliez pas de payer vos framboises en partant.
À la fin de la journée, en revenant de l'île, empruntez la route du Mitan pour vous rendre de St-Jean à Ste-Famille. Roulez doucement et en silence, en regardant le soleil baisser sur les montagnes de la côte de Beaupré, pour vous imprégner de la beauté des lieux.
Les jours de pluie, lisez Jean O'Neil ou Jacques Poulin ou visionnez un vieux western de John Wayne ou de Gary Cooper.
Gardez parfois votre petit-fils à coucher à la maison et, avant qu'il n'aille se coucher, jouez avec lui une partie d'échecs en le laissant gagner. Les fois suivantes, quand viendra votre tour de gagner, soyez sur vos gardes car il ne vous laissera pas faire.
Avant qu'il ne s'endorme, lisez-lui un Tintin ou un Astérix et, lorsqu'il commencera à cligner des yeux, embrassez-le, couvrez-le, éteignez la lumière et tirez la porte mais laissez-la un peu entrebâillée. N'oubliez pas d'apporter le volume avec vous pour en continuer secrètement la lecture, à l'insu de votre femme.
Si c’est votre petite-fille qui couche à la maison, lisez-lui Winnie l’ourson ou Cendrillon pour l’endormir. Évitez Le petit chaperon rouge ou Le petit poucet : ça pourrait lui donner des cauchemars. Elle demandera un verre d’eau, babillera sans arrêt et trouvera toutes sortes de prétextes pour retarder votre départ. Soyez patients, les petites filles ont besoin d’être rassurées. Bien évidemment, embrassez-la, elle aussi, avant de fermer la porte à demi
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Et si, par malheur, par très grand malheur, vous veniez à perdre votre compagne ou compagnon ou votre enfant ou petit enfant, alors, très vite, remisez ces petites recettes de bonheur au fin fond d'un placard. Puis, recroquevillez-vous, laissez se fendre votre cœur et que vos sanglots ameutent le quartier pendant trois jours.
Ou si l'on vous apprend qu'un enfant du Soudan est mort de faim ou qu'un petit Algérien a vu les extrémistes égorger sa mère, alors entrez dans une colère froide, ayez le goût de tuer à votre tour et levez le poing vers le ciel en criant de rage.
Au bout de ces trois jours, remémorez-vous ce Dieu de l'horizon qui accueillera vos morts et réussira peut-être à mettre du baume sur vos plaies et celles du jeune Algérien. Puis sortez timidement dehors pour permettre au soleil de sécher vos pleurs et réchauffer votre cœur.
Ainsi reviendra un peu de bonheur dans votre âme convalescente et pourrez-vous recommencer à lire, peut-être un peu tristement cette fois, ces petites recettes de bonheur.
Jean

Publié par Jean Marcoux à l'adresse 21:38 3 commentaires

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