lundi 28 mars 2011

Comment diable cette histoire a-t-elle commencé?

Touristes de l’Univers – Chapitre 6


Nous avions à peine fini d’avaler notre dernière gorgée de café que mon petit bonhomme, qui ne laissait jamais tomber le morceau, revint à la charge :

«Alors, où donc, en fin de compte, a-t-elle eu lieu cette fameuse explosion ?

- Je crains bien de te décevoir, mon cher Simon (vous l’avais-je dit qu’il s’appelait Simon ?), mais ta question n’a pas plus de sens que celle de Minouchka qui me demandait quand avait eu lieu l’explosion.

Simon, sans même un mot, laissa tomber les bras dans un geste d’exaspération.

- Eh bien oui, pour dire où s’est produite l’explosion, il fallait bien qu’il y ait d’abord un espace pour la localiser, n’est-ce pas ? Eh bien, avant le Big Bang, il n’y avait pas d’espace…

Je les laissai digérer un moment cette nouvelle pilule.

- Donc, lança Minouchka, une explosion formidable provoquée par on ne sait quoi, dans un temps qui n’existait pas et dans un lieu qui n’existait pas non plus, c’est bien ça ?

- Oui, c’est tout ce que nos hommes de science peuvent nous dire pour le moment.

- Je pense, maugréa Simon, que je vais m’en tenir à l’histoire d’Adam et Ève qui, à tout prendre, est moins invraisemblable que ton histoire de Big Bang.

- Bien, ce n’est pas moi qui ai inventé l’histoire du Big Bang. Ce sont, je te l’ai dit, de grands esprits de notre époque qui sont arrivés à cette conclusion et pratiquement tous les scientifiques d’aujourd’hui en reconnaissent l’authenticité. Cette théorie a passé haut la main toutes les épreuves auxquelles on l’a soumise. Avec le temps, on y apportera sûrement des modifications mais, fondamentalement, elle est là pour rester.

- Bon, dirent-ils en chœur, en levant des sourcils sceptiques, mais sait-on au moins ce qui est arrivé au moment de cette explosion ?

- Eh bien, nos astrophysiciens nous racontent que, dès après l’explosion, l’infiniment petite chose qu’était l’univers à sa naissance, s’est agrandie à une vitesse foudroyante, une vitesse vertigineuse, infiniment supérieure même à la vitesse de la lumière et tout cela en une toute petite fraction de seconde.


Mais cet univers agrandi n’était rien de moins qu’un incroyable chaos : une soupe de milliards de mini-particules qui, se lancèrent aussitôt dans une guerre totale : une armée de particules de matière contre une armée de particules d’antimatière s’annihilant les unes les autres dès qu’elles entrent en contact. Une guerre éclair qui ne dura pas plus de trois minutes.

- Antimatière ? Qu’est-ce que c’est ça ?

-Eh bien, si l’on prend, par exemple, un proton [i] qui porte une charge électrique positive, l’antiproton est son jumeau mais il est doté d’une charge négative. Ils ne peuvent pas se sentir. S’ils se rencontrent, c’est fatal. Ils s’annihilent. Au surplus, les deux armées ont autant de soldats l’une que l’autre, sauf que, pour une raison tout à fait inconnue, parmi les milliards de milliards de militaires engagés dans cette guerre à finir, un petit soldat de plus dans l’armée de la matière a permis à cette dernière, en fin de compte, de gagner la bataille. Heureusement pour nous qui sommes faits de matière car si cette dernière avait perdu, nous ne serions même pas là pour en parler.

- Bon, et après ? demanda Minoucka qui, pour bien marquer la victoire de la matière, n’avait manifestement pas perdu la faculté de parler.

- Attends, attends, dit délicatement Simon à Minouchka, je veux bien comprendre ce qui vient d’arriver. Alors, se tournant vers moi, il me dit :

- Êtes-vous en train de nous dire que l’univers de démesure que nous connaissons aujourd’hui et dont la naissance remonte à au-delà de quatorze milliards d’années, a commencé par quelque chose comme une infiniment petite particule qui, en un éclair, a gonflé démesurément pour se charger de milliards d’autres petites particules en moins d’un milliardième de seconde avant de se lancer dans une guerre éclair dont l’armée de la matière est sortie victorieuse parce qu’elle avait un soldat de plus que l’armée de l’antimatière ?

- Eh bien oui, Simon, c’est ce que nos hommes de science nous disent aujourd’hui. Nous serions passés de l’infiniment petit à l’infiniment grand en termes d’espace et de l’infiniment court à l’infiniment long en terme de temps.

Après un long moment de silence pour digérer ces notions, Minouchka revint à la charge :

- Bon, et après ?

- Eh bien après, l’immense soupe désorganisée de matière et d’énergie qui constituait l’univers a été plongée dans une noirceur totale et ce, pendant la plus longue nuit de tous les temps : 380 000 ans. Oh, ce n’est pas que la lumière était complètement absente mais, pendant cette période de noirceur, les particules de lumière, qu’on appelle photons, étaient paralysées par une inimaginable foison d’électrons. [ii] Un peu comme la lumière d’une torche voilée par la brume.


Lorsqu’enfin les électrons ont été capturés par les atomes en voie de construction, la voie est devenue libre pour les photons et la lumière a finalement réussi à percer. Si nous avions été là en l’an 380 000, nous aurions vu un ciel aussi brillant que la surface du soleil.
Les plus vieilles images de l’univers que nous révèlent aujourd’hui les satellites COBE et WMAP remontent ainsi à la 380 000e année après le Big Bang.


- Et après ?s’enquit Simon à son tour.

- Après ? La soupe de particules, encore inorganisée, continue de s’agrandir en envahissant l’espace créé à la suite du Big Bang. Mais, en s’agrandissant, l’univers qui, à ses débuts, était d’une chaleur et d’une densité inimaginables, se dilue et se refroidit. De vastes nuages de gaz et de poussières, créés par le Big Bang, se forment ici et là, se compactent de plus en plus sous la force de gravitation et se réchauffent considérablement.

Un milliard d’années après le Big Bang, des feux jaillissent ici et là dans ces nuages : les premières étoiles sont nées ! Ce fut en quelque sorte le fiat lux de la Genèse. L’univers qui, à ses débuts, était une soupe quasi totalement uniforme de particules et semblait s’acheminer vers la plus grande platitude, se révèle de plus en plus dynamique dans sa marche vers la complexité. Où donc s’en va-t-il cet immense et mystérieux bonhomme ?

- Et où donc? s’écrièrent simultanément Simon et Minouchka ?

-Où ? Eh bien, nous verrons ça la prochaine fois, qu’en dites-vous ?


[i] Le proton, on s’en souvient est une partie constituante du noyau de l’atome mais, dans l’univers qui vient de naître, il barbotte pour ainsi dire tout nu et sans l’armure de l’atome pour le protéger car l’atome n’existe pas encore.


[ii] Il s’git ici d’électrons libres, c'est-à-dire qui ne sont pas encore intégrés aux noyaux des atomes qui ne sont pas encore formés. Éventuellement, ces électrons viendront danser autour des noyaux des atomes.

lundi 14 mars 2011

Minouchka et le Big Bang

Touristes de l’Univers – Chapitre 5

Ce matin, au réveil, surprise ! Nous avions une visiteuse : la petite femme de mon petit bonhomme était là, Minouchka, occupée à le frotter et le bichonner pour le soulager de toutes ces bosses et écorchures qu’il s’était infligées en dégringolant de ses échelles. Lui, de son côté, ne cessait de me lancer des regards soupçonneux. «Bon, lui lança-t-elle, décide-toi et dis-lui ce qui te turlupine.»

«C’est cette histoire de Big Bang que j’ai de travers dans la gorge, me lança-t-il, me défiant des yeux.
- …..
- D’abord, quand a-t-il eu lieu ce fameux feu d’artifice ?
- Il ya 14,7 milliards d’années, nous disent les astrophysiciens.

Là, c’est Minouchka qui, après un moment de silence, est intervenue :

- Je veux bien mais que se passait-il, disons il ya quinze milliards d’années ?
- Ta question, je le regrette, ma chère Minouchka, n’a pas de sens.
- Pas de sens ? me répliqua-t-elle. Comment ça pas de sens ?
- Bon, regardons le phénomène du Big Bang en deux temps : pour qu’il y ait explosion, il fallait d’abord un pétard. Ce qu’on appelle le Big Bang, ce n’est pas le pétard lui-même mais l’incroyable déflagration causée par le pétard. En d’autres mots, le Bang est survenu après l’apparition du pétard. Me suis-tu ?
- Oui, mais d’où venait-il ce pétard ?
- Là, c’est la question à un milliard de dollars. On ne le sait pas. On spécule sur ce que certains appellent «un vide rempli d’énergie» ou l’apparition inexplicable d’une infiniment petite particule d’une densité et d’une chaleur inimaginables qui auraient, l’un ou l‘autre, provoqué l’explosion mais, en fait, on est devant un mur qu’on ne pourra probablement jamais traverser pour voir ce qu’il y a de l’autre côté. C’est ce qu’on appelle «le mur de Planck» du nom du scientifique qui en a avancé l’idée.

Minouchka mijota un moment mes propos mais, sous les yeux médusés de son petit bonhomme de mari, revint à la charge :

- Pourquoi dites-vous que ma question n’a pas de sens lorsque je vous demande ce qui se passait il y a quinze milliards d’années ?
- Parce que ce que j’appelle le pétard, c’est l’apparition inexplicable de l’univers, le mystérieux moment zéro. Et, avant cette apparition, le temps n’existait pas. Le temps est né avec l’apparition de l’univers. Pas d’univers, pas de temps.
- Voyons donc, est alors intervenu mon petit bonhomme, comme si le temps pouvait ne pas exister. Je sens que tu vas me sortir que c’est parce que les calendriers et les horloges n’avaient pas encore été inventés.
- Pas du tout. C’est tout simplement parce que, avant le Big Bang, le temps n’existait pas, point à la ligne.

Mon petit bonhomme, exaspéré, détourna la tête en expirant bruyamment.

Minoucka a cessé un moment de frotter son bonhomme et m’a lancé un regard étonné mais n’a pas pipé mot.

- Le temps, dis-je, n’est qu’une mesure entre deux événements. S’il n’y a pas d’événement, il n’y a pas de temps.
- Répète ça pour voir, dit le petit bonhomme.
- Supposons que, par la pensée, nous nous retrouvions, toi et moi, dans le néant. Un néant absolu. Il n’y a rien et ne se passe rien. Même toi et moi n’y sommes que par la pensée. Nous n’avons donc aucun moyen de mesurer le temps car il ne se passe rien, absolument rien. Nous n’avons pas d’horloge pour calculer le temps qui passe, ni de cœur pour en calculer les battements car nous ne sommes même pas là en personne, nous n’y sommes que par la pensée. Donc, où que se porte notre pensée, il ne se passe rien. Nous n’avons aucun repère pour mesurer le temps.

Je les laissai un instant mijoter ce que je venais de dire, puis continuai :

- Ce qu’il faut bien voir ici c’est que le temps n’est qu’un moyen de mesurer la distance en heures, en minutes, en secondes, etc. entre deux événements. En somme, le temps n’existe pas en soi. Le temps n’est pas une chose qui se promène sur la rue. Il n’est qu’une unité de mesure inventée par notre esprit pour mesurer l’espace temporel entre des événements. Me comprenez-vous bien ?

Lui, je ne sais pas. Mais, Minouchka, elle, semblait avoir bien saisi l’idée. Je me tournai alors vers elle et continuai :

- De sorte que lorsque tu me demandes ce qui se passait il y a quinze milliards d’années et que je te dis que ta question n’a pas de sens c’est parce que le temps n’a commencé d’exister qu’avec le pétard de l’apparition de l’univers, il y a 14,7 milliards d’années.

Un sonore et perplexe «Mouais !» fut la seule réponse de mon petit bonhomme. Je me tus pour le laisser digérer cette notion quelque peu indigeste du temps.
……….

- Bon, très bien, reprit mon petit bonhomme : parler du moment où est survenu le Big Bang n’a pas de sens. Mais sait-on, à tout le moins où est survenue cette fameuse déflagration, à quel endroit dans l’espace ?

Je réfléchis un petit moment et leur proposai de faire une pause et d’aller grignoter une tartine et boire un café. Car, leur dis-je, il faudrait mieux laisser cette notion de temps faire son chemin dans leurs cerveaux avant de s’attaquer à la notion d’espace qui risquait, elle aussi, d’ébranler leurs convictions de toujours.

On aura beau déblatérer sur toutes ces compagnies internationales qui envahissent nos pays. Le café chez Tim Horton’s est vraiment bon. On nous garantit même que celui qu’on nous sert a été préparé dans les dix minutes qui précèdent. Eux au moins savent ce qu’est le temps.













lundi 7 mars 2011

Le Big Bang

Touristes de l’Univers – Chapitre 4

Au chapitre 3, on a vu que j’ai promis à mon petit bonhomme de lui conter la merveilleuse et véridique histoire de l’apparition de l’homme sur la Terre. Alors, je lui ai tiré un petit banc et l’ai prié de s’y asseoir car la longue histoire que j’avais à lui raconter risquait de le faire basculer encore une fois.
Avant d’aborder l’apparition de l’homme sur la Terre, il faudrait bien, lui ai-je dit, commencer par s’entendre sur l’apparition de la Terre elle-même pour que l’Homme puisse s’y nicher. Et, quant à y être, il faudrait bien tenter de découvrir comment l’Univers a surgi pour que la Terre s’y trouve elle aussi une niche.
Nous savons bien que pour les pères de nos pères et même bien avant, l’Univers était là simplement parce que le Bon Dieu en avait décidé ainsi. Ils étaient donc loin de se poser cette intrigante question que Leibniz posait au XVIIe siècle : «Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?».
Mais les fouineuses petites créatures du Bon Dieu avaient quand même fini par comprendre que, en matière de création de l’Univers, les Saintes Écritures recelaient des contes imagés et enchanteurs, mais qu’il ne fallait pas prendre ces contes au pied de la lettre. Alors on a vu de nombreux grands esprits de la Grèce antique et, beaucoup plus tard, des Copernic, Galilée, Kepler et tous leurs successeurs se mettre à chercher «Comment ça marche ?». C’est ainsi qu’ils ont successivement découvert, comme on l’a déjà vu, que la Terre n’était en fin de compte qu’un petit grain de sable perdu dans une galaxie qui était une immense poche de milliards d’étoiles connue sous le nom de Voie Lactée et que l’Univers contenait des milliards d’autres poches d’étoiles. C’est le dénommé Hubble, on s’en souvient, qui a fait cette stupéfiante dernière découverte en 1923.

On persistait toutefois à croire que ces milliards de galaxies étaient figées à tout jamais dans l’Univers. Mais, en 1929, notre ami Hubble, l’œil rivé toutes les nuits sur son télescope du Mont Wilson,[i] fit une découverte encore plus stupéfiante : les galaxies bougeaient ! Plus que ça : elles étaient en fuite, s’éloignant l’une de l’autre à des vitesses folles. Comme des pestiférées. Tous les savants en tombèrent de leurs chaises.[ii] Même le grand Einstein en fut complètement décontenancé, lui qui tenait mordicus à l’immobilité des galaxies.

Étrangement, sur le coup, on ne se posa pas tellement la question qui nous vient à l’esprit : d’où étaient-elles donc parties pour se fuir ainsi ?

Il faut dire ici que, avant même que Hubble découvre la fuite des galaxies, le physicien et mathématicien russe Alexandre Friedmann, se basant sur les équations d’Einstein, avait avancé, dès 1922, l’hypothèse d’un univers en expansion, ce qui l’amena dans une violente controverse avec Einstein lui-même qui tenait mordicus à son univers statique jusqu’à ce que la découverte de Hubble lui ouvrît les yeux.

Puis, indépendamment des travaux de Friedmann, et avant la découverte de Hubble, le chanoine Georges Lemaître, astronome et physicien belge, avait affirmé à son tour, en 1927, que l’univers était en expansion. Il avait même proposé une évolution de l’univers à partir d’un «atome primitif». On voit ici se pointer le nez de ce que le cosmologiste britannique, Fred Hoyle, appelait par dérision le «Big Bang», lui qui était un détracteur à tout poil de cette théorie.
Un autre important joueur entre alors en scène pour supporter la théorie de l’atome primitif, dès lors appelé le Big Bang : le scientifique américano-russe George Gamov.

Ici, mon petit bonhomme qui n’avait cessé de me regarder de ses grands yeux, m’interrompit :
- Hop-là ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Big Bang ? Êtes-vous en train de m’emberlificoter dans des explications soi-disant scientifiques pour me faire oublier mes chers Adam et Ève ?
- Mais non, mais non. Le Big Bang c’est comme une grenade : si on filme la grenade au moment de son explosion, on voit alors les pièces se répandre de toutes parts. Si maintenant, on tourne le film à l’envers, ont voit les pièces se rassembler dans la grenade redevenue compacte. On s’est dit que, de la même façon que les pièces de la grenade, les galaxies qui se fuient les unes les autres ont bien dû, à un moment donné, être rapprochées les unes des autres.
- Mais, combien rapprochées ?
- C’est ici, mon bonhomme, que l’on entre dans l’incroyable : suivant la théorie du Big Bang, toute la matière de l’Univers, galaxies, étoiles, planètes, plantes, animaux, humains, et aussi toute l’énergie que recèle l’Univers d’aujourd’hui, tout, tu m’entends, absolument tout, serait parti d’un point zéro ! Aussi bien dire de rien. Et ce rien, une infiniment petite particule ou peut-être une parcelle d’énergie, (sait-on ?) aurait explosé pour créer tout l’univers. C’est rien de moins que le truc du magicien qui fait sortir de son chapeau, abracadabra, un lapin qui n’était pas là la minute d’avant.

Le petit bonhomme leva vers moi un œil sceptique et me lança :
- C’est un bien petit chapeau pour un si gros lapin, me fit-il remarquer avec beaucoup d’à-propos.
- Oui, tu as bien raison et c’est pourquoi, malgré la découverte faite par Hubble d’un univers en fuite, on n’arrivait pas à croire que toute la matière et toute l’énergie de notre immense Univers seraient issues d’un rien ou d’un presque rien des milliards de fois plus petit qu’une pointe d’aiguille. Avouons que c’est invraisemblable.

C’est ici qu’intervient le génial Gamow : si vraiment notre univers est issu d’une telle formidable explosion, on devrait pouvoir encore trouver des traces de cette explosion dans notre univers d’aujourd’hui. Gamow et le célèbre américain Fred Hoyle (qui refusait obstinément de croire au Big Bang) s’engagent dans une lutte épique sur le sujet. Si Gamow a raison, la théorie du Big Bang tient la route. Autrement, le Big Bang n’est que le produit de l’imagination délirante des astrophysiciens. Mais comment Gamow peut-il trouver, dans l'immense univers d'aujourd'hui, les traces infiniment affaibllies d'une explosion survenue il y a plus de quatorze milliards d'années? N’y pensons même pas.
Sauf que…

Un de ces quatre matins, deux ingénieurs, que la compagnie Bell avait engagés pour retrouver la trace d’un satellite de communication que la NASA avait lancé dans l’espace et qu’on n’arrivait plus à retrouver, se mirent à la tâche. Alors nos deux bonhommes, Arno Penzias et Robert Wilson, construisirent une énorme antenne dans l’espoir de capter les signaux du satellite égaré dans l’espace. Ils étaient bien agacés car ils captaient sur leur antenne de la «friture» qui brouillait les signaux du satellite qu’ils recherchaient. Ils crurent que ces grésillements provenaient des signaux de postes de radio environnants ou même de fientes de pigeons ou de quelque autre saloperie. Ils nettoyèrent leur antenne à fond et firent toutes les vérifications possibles. Rien à faire : l’agaçante friture leur vrillait les oreilles. Et, chose étrange, le grésillement était constant, sans aucune variation. La chose les intriguait au plus haut point.

Dans l’intervalle, un groupe de scientifiques dirigé par le physicien américain Robert Dicke s’était, de son côté, attelé à la tâche de découvrir des traces du Big Bang qui devaient encore persister dans l’univers d’aujourd’hui suivant l’intuition de Gamow. Ces chercheurs eurent vent de l’étrange grésillement que Penzias et Wilson captaient sur leur antenne et comprirent vite qu’il s’agissait là du faible rayonnement fossile qui venait de la nuit des temps : du Big Bang.
Cette découverte sensationnelle mérita le prix Nobel à Penzias et Wilson et confirma la théorie du Big Bang à laquelle tous les scientifiques adhèrent aujourd’hui malgré son caractère invraisemblable. Le pape Pie XII tenta bien de récupérer cette théorie pour confirmer l’histoire racontée par la Genèse d’une création divine à partir de rien mais le chanoine Lemaître lui fit comprendre qu’il charriait un peu fort en voulant ainsi mêler science et religion.
En deux mots : toute la matière et toute l’énergie de notre Univers d’aujourd’hui proviendraient d’une infime particule (en fait, on ne sait pas ce que c’est) dont la formidable explosion (il y a au-delà de quatorze milliards d’années !) aurait constitué le coup de départ de notre immense Univers.

Alors, non, définitivement non : la création de l’Univers n’est pas survenue le 23 octobre de l’an 4004 AC à 9 heures du matin comme le prétendait l’un des imitateurs de l’archevêque James Ussher ainsi que nous l’avons vu précédemment au chapitre 3.

- Non mais ça va pas la tête, ces grands cocos qui veulent nous enfourner dans le crâne leur folle histoire de Big Bang, m’a lancé mon petit bonhomme l’air plus buté que jamais.
- Attends, lui ai-je dit, la suite de l’histoire : la création de la terre et l’apparition de l’homme. Pour l’instant, dormons un peu là-dessus. Nous reprendrons l’histoire demain matin.
Le temps que j’étouffe un bâillement et lui ronflait déjà.

[i] À se faire geler les couilles car on n’avait pas encore ces confortables labos où les astronomes d’aujourd’hui peuvent à loisir et bien au chaud examiner les astres sur les écrans de leurs ordinateurs.
[ii] Et même de leurs chaires pour tous ces grands professeurs qui dispensaient leur savoir dans les universités.

dimanche 6 mars 2011

D'Adam à Darwin

Touristes de l’Univers - Chapitre 3

N’allez pas croire que, malgré sa déconfiture qui l’a fait dégringoler jusqu’à la dernière et unique marche de son échelle, notre petit homme allait abandonner la partie. Nombril de l’Univers ou pas, il demeurait l’enfant chéri du Dieu qui, du geste tout-puissant de sa main, l’avait créé tout rond, comme le représente si bien le peintre Raphaël, puis l’avait nommé Adam, et l’avait installé au milieu d’un paradis époustouflant de beauté.



Et, pour ne pas laisser son petit bonhomme tout seul, Dieu avait plongé sa main magique dans le torse musclé d’Adam pour lui en retirer une côte et, subito presto, transformer cette côte en une magnifique créature qu’il avait baptisée Ève. Beauté, douceur, charme, amour, cette femme avait tous les attributs dont un homme puisse rêver. Tous, je vous dis, absolument tous. Aucune faille…sauf une toute petite faiblesse : elle aimait les pommes ! Nous n’allons quand même pas ergoter là-dessus ? Qui n’aime pas les pommes, hein ? Sauf que le tout-puissant créateur leur avait dit d’un air sévère, en montrant les pommiers qui ornaient le magnifique paradis : «Pas touche, les enfants, pas touche !» Pourquoi ? Allez donc savoir. Peut-être pour bien leur faire voir que c’était Lui, le Boss ? Les boss sont comme ça, vous le savez bien : ils aiment faire sentir leur autorité, ne serait-ce que sur des vétilles.

Mais Ève avait une nature taquine et aimait bien se faire courir après par son homme. Alors, un beau jour d’automne, alors que tous les pommiers regorgeaient de fruits, elle décrocha une pomme et, jetant un coup d’œil provocateur à Adam, elle partit en courant dans le verger. «Ah bien, ma p’tite vlimeuse»[i], cria Adam en sautant sur ses jambes. Ils coururent comme ça un bon moment au milieu des pommiers jusqu’à ce qu’Adam l’attrape par sa petite culotte et qu’ils tourneboulent tous deux jusqu’à se retrouver dans les bras l’un de l’autre. Ève avait déjà la moitié de la pomme entre les dents et, en riant, Adam enfourna l’autre moitié dans sa bouche puis, d’un même geste rieur, ils croquèrent la pomme…CATASTROPHE ! MALHEUR DE MALHEUR ! Le Vieux, là-haut n’entendait pas à rire. Vous connaissez la suite, n’est-ce pas, de cet innocent petit jeu amoureux.

Ne cherchez pas plus loin, c’est ainsi que commença la pénible odyssée de l’homme sur la Terre.

Malgré la dégringolade que lui firent subir les Copernic, Galilée, Herschel, Shapley, Hubble et Cie qui le délogèrent, barreau par barreau de son échelle, et malgré la sévère punition de son créateur, notre petit bonhomme resta bien assis sur le dernier échelon, sûr de son fait : il demeurait, parmi toutes les créatures de l’Univers, l’enfant chéri du Dieu qui l’avait créé tout rond et planté sur la Terre.

Quand, dites-vous ? Bien, il n’y a pas si longtemps : l’archevêque James Ussher affirmait, en 1654, que la Création avait eu lieu au début de la nuit précédant le 23 octobre de l'an 4004 av. J.-C.,[ii] tout cela basé sur un calcul rigoureux du nombre de générations et de l’âge des personnages des Saintes Écritures ! Tout en tenant compte aussi, bien évidemment, des cinq jours qu’il fallut pour mettre en place l’Univers avant d’y installer l’homme le sixième jour. Alors, qu’on ne vienne pas nous casser les pieds avec ces théories qui font remonter la création de l’Univers à quelques milliards d’années.

Mais ne voilà-t-il pas que, en 1859, ce petit drôle de Charles Darwin vient brouiller les cartes avec sa théorie de l’évolution : l’homme ne serait en fin de compte que l’aboutissement d’une longue évolution de la vie commencée avec de petites molécules il y a plus de trois milliards d’années. Que l’enfant chéri créé tout rond par le Père éternel ne serait en fait que l’aboutissement d’une longue chaîne buissonnante de transformations d’êtres monstrueux qu’on a baptisés tour à tour de noms affectueux comme Proconsul, Pithécanthrope, Australopithèque, Homme de Neandertal, Homme de Cro-Magnon, etc.,etc. On poussa même l’insulte jusqu’à dire que l’homme ne serait qu’un quelconque cousin éloigné du singe.[iii]

Alors notre petit homme, rouge de colère, s’agrippant de toute force au dernier barreau de son échelle, s’écria :

-Non, non et non ! Votre Darwin est un sale menteur. L’homme demeure à jamais l’enfant chéri de Dieu le Père qui, je vous le répète, l’a créé tout rond et d’un seul geste.
- Mais, s’Il l’aime tant, pourquoi alors l’a-t-il chassé de son paradis ?
- C’est parce qu’il avait commis le péché originel et lui avait ainsi désobéi, faut-il que je vous le répète cent fois ?
- Mais pourquoi faut-il que nous portions encore le fardeau de cet insignifiant petit péché après tous ces innombrables millénaires ?
- Parce que le péché originel est une maladie héréditaire.
- Héréditaire ? Comment ça ?
- Parce qu’elle se transmet de génération en génération par la copulation. On ne peut pas y échapper. C’est Saint Augustin lui-même qui l’a dit.

Que peut-on répondre à ça, dites-moi ?

Y a-t-il vraiment moyen de faire comprendre à notre petit homme que tous les scientifiques sérieux d’aujourd’hui admettent la théorie de l’évolution avancée par Charles Darwin ?

Que l’homme moderne, doté d’une conscience, l’homo sapiens, comme l’appellent ces scientifiques, n’est pas seulement l’aboutissement d’un quelconque primate, mais qu’il est le produit d’une longue chaîne de montage qui a connu bien des ratés et de multiples culs de sac ?

Que cette longue chaîne a d’abord commencé par ce qu’on croit être l’apparition de molécules organiques simples qui sont les briques de base du vivant ? De là, une longue évolution, passant par de multiples phases, aurait produit des animalcules, puis une végétation qui aurait envahi la terre ?

Que tout ce foisonnement de vie aurait abouti, par le jeu de l’évolution, à des multitudes d’animaux de plus en plus performants…jusqu’à l’apparition, en bout de piste, de l’homo sapiens, c’est-à-dire vous et moi ?

Que, si l’on remonte encore plus loin dans la longue chaîne de l’évolution, on débouche sur les étoiles où se sont formés la plupart des atomes qui constituent toute la matière connue, y compris, encore une fois, vous et moi ?
Que nous sommes en fin de compte, «poussières d’étoiles», comme le dit si bien Hubert Reeves ?
N’est-ce pas merveilleux ? N’est-ce pas encore plus merveilleux et plus crédible, vu le support apporté par nos grands savants à la théorie de l’évolution, que la jolie fable racontée dans la Bible ?

N’es-tu pas émerveillé à la pensée que toi, petit bonhomme, et tous les humains de la Terre sont des descendants des magnifiques étoiles qui illuminent nos nuits ?

Après être resté songeur un long moment, le petit bonhomme s’est soulevé du dernier échelon auquel il s’accrochait désespérément depuis si longtemps et, d’un vigoureux coup de pied, a complètement démoli ce qui restait de sa pauvre échelle. Puis, il a levé vers moi un regard interrogateur.
D’un simple petit signe de tête et d’un clignement des yeux, je lui ai promis que, la prochaine fois, je lui raconterais la merveilleuse et véridique histoire de l’apparition de l’homme sur la Terre.


[i] Coquine, en langage québécois (preuve que le paradis était au Québec… et le demeure).
[ii] Certains prétendent que ce fut plutôt le 26 octobre…à 9 heures du matin.
[iii] Ce qui entraîna les cris horrifiés de la bonne société anglaise victorienne : «Descendre du singe? Espérons que ce n’est pas vrai. Et si cela l’est, prions pour que ça ne s’ébruite pas» (Pierre Yves Morvan).